Avant-critique Récit

Jean-Pierre Martin, "N'oublie rien" (Éditions de l'Olivier)

Jean-Pierre Martin - Photo © Patrice Normand

Jean-Pierre Martin, "N'oublie rien" (Éditions de l'Olivier)

L'écrivain et essayiste Jean-Pierre Martin relate son expérience de la prison, quand, à 22 ans, il fut condamné pour « apologie du crime d'incendie volontaire ».

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Par Marie Fouquet
Créé le 07.02.2024 à 09h00

La révolte en mémoire. Dans N'oublie rien, l'écrivain et essayiste Jean-Pierre Martin revient sur un événement qui s'est déroulé en 1970, alors qu'il avait 22 ans. Arrêté par la police pour « apologie du crime d'incendie volontaire », il est placé en détention préventive et mis à l'isolement à la maison d'arrêt de Saint-Nazaire pendant deux mois. « Tu admires les voyous, les durs, les rebelles de naissance, les tout ce que tu n'es pas. » Dans ce texte qui prend la forme d'une lettre adressée à son moi vingtenaire, Jean-Pierre Martin décortique cet épisode en prison et situe le contexte qui l'entoure.

Originaire de Nantes, il a étudié en classe prépa puis à la fac, en philosophie, à Paris. Engagé dans la cause militante de la Gauche prolétarienne, il décide après sa licence de partir à Saint-Nazaire pour travailler en usine et lutter auprès des travailleurs. Multipliant les actions d'usine en usine, il peine de plus en plus à trouver ou conserver des postes, est repéré par les patrons, traqué par les RG, et gardé à vue de nombreuses fois pour divers motifs liés à son militantisme. Et ce, jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'un procès en bonne et due forme.

Jean-Pierre Martin décrit les rituels de l'administration policière, les interrogatoires musclés, les heures passées à attendre, à subir l'enfermement, la souffrance, l'angoisse, la sociabilité de la taule malgré les conditions du mitard - « on l'appelle la cellule des condamnés à mort du fait qu'il y a, passé la porte, une grille fermée à double tour, et entre la porte et la grille, un sas de sécurité. » Il dépeint aussi les agents perplexes face à son profil d'intello juvénile, explique les liens noués avec les autres détenus, qui perçoivent la nature différente de son chef d'inculpation et compatissent, lui donnant des techniques pour mieux vivre la prison. « On rêve éveillé, on pensote, on rêvasse, on rumine malgré soi, on s'abrutit de fantasmes. » Pour tenir, pour ne pas tomber ni oublier, le prisonnier se met alors à penser aux « ouvriers blessés, mutilés ou morts à la tâche, victimes de guerre de la production, ceux qu'on sacrifie au tonnage d'un pétrolier ou au rendement d'une chaîne, [...] les humiliés en tous genres, les mal-logés partout, les petits matins harassés... » Il pense à ses amis ouvriers, à ses compagnons de lutte, il raconte la cavale avant l'arrestation et comment il s'en sort en passant son certificat de philosophie juste avant le procès, quand d'autres de ses camarades resteront enfermés.

Ce que l'on distingue sans peine à la lecture de ce récit, c'est la confrontation de deux temporalités : celle, passée, d'un jeune homme impliqué dans une cause et réprimé, et celle, présente, d'un auteur qui se remémore le passé avec une distance qui éclaire la violence de ce qu'il a vécu. La force de cette histoire est aussi dans sa résonance avec des procès bien plus contemporains, qui visent une gauche militante souvent fantasmée et brisent ainsi des jeunes gens, tout en dissuadant ceux qui les voudraient les imiter.

Jean-Pierre Martin
N'oublie rien
Éditions de l'Olivier
Tirage: 2 600 ex.
Prix: 18,50 € ; 192 p.
ISBN: 9782823620733

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