Gauguin de sort. C'est là, tapi au cœur de la page 141 de Femmes sur fond blanc, le quatrième roman de Jean-Noël Orengo. Une confession peut-être, un art poétique plus sûrement. Que l'on en juge : « Et ça continue ce soir, j'y assiste, et bien entendu, le sordide et le sublime se ressemblent comme deux jumelles incestueuses. » Tout est là de ce qui constitue, de ce qui innerve, l'œuvre (il n'est pas trop tôt pour employer ce mot) et la langue d'Orengo. Non une provocation pour petits-bourgeois qui se rêvent transgressifs, mais plutôt quelque chose comme une poésie du désastre, l'envie d'ailleurs, ficher le camp loin des guerres du goût, bon ou mauvais. C'est ce que l'on avait cru comprendre de la lecture de son sublime roman inaugural, presque programmatique, La fleur du Capital (Grasset, 2015, prix de Flore). C'est ce qui se dégage avec une force inentamée de ce Femmes sur fond blanc, inapaisé, inconsolé.
De quoi s'agit-il ? De désir, de politique, de voyages, de femmes (parfois de garçons), de représentations, de nuit, d'un songe babylonien, bref d'art. Celui en l'occurrence de Paul Gauguin, pas celui de Tahiti et Pont-Aven, mais celui d'un homonyme (un peu plus que cela en fait, plutôt un cas de métempsycose...), enfant de 1968 et de Noisy, d'un père brutal et néanmoins aimé, d'une caste nomenklaturisée jusqu'à la caricature, celle de l'art contemporain au tournant des années 1980-1990. C'est là, alors qu'il a 23 ans, un jour ou plutôt une nuit de 1991 que Paul « meurt et se transfigure » lorsqu'il rencontre Bangkok, ses bars, ses néons, ses ladies bars, ses fleurs du mal. C'est là, au cœur de sa vérité, que Paul demeurera désormais. À peindre et à baiser, des filles, jeunes, comme autant d'origines du monde... Sale affaire, la belle affaire. Ah oui, le sexe... « l'excès sentimental du sexe où tu prends tout de l'anatomie de l'autre [...] Tout, absolument tout. L'empathie impérialiste. C'est-à-dire que tu t'intéresses anormalement à l'autre. Le sexe est un terme sali par la révolution sexuelle. L'Asie n'a que faire de ces conneries. Solitude surpeuplée des mégapoles d'Asie ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans ce merveilleux cauchemar qui est celui de l'auteur comme de son personnage, de leur solitude commune. D'une nuit profonde et où l'aurore, toujours, est une horreur.
Femmes sur fond blanc
Grasset
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 € ; 416 p.
ISBN: 9782246824893