Livres Hebdo : Posy Simmonds a les honneurs des cimaises de la BPI, qu’est-ce que cette exposition représente pour vous qui l’éditez chez Denoël Graphic ?
Jean-Luc Fromental : Une forme de consécration pour une autrice qui a déjà été célébrée par le monde muséal à Londres, Bruxelles, Bâle, mais qui attendait son expo à Paris. Visiblement, la BPI a été choisie par les autorités du Centre Pompidou comme porte d’entrée de la bande dessinée dans le plus prestigieux musée français d’art moderne et contemporain. Des gens comme Catherine Meurisse, Franquin, Claire Bretécher, Riad Sattouf ou Chris Ware l’y ont précédée, mais ça reste un ticket d’or pour un auteur ou une autrice de BD encore en activité.
En outre, j’adore l’idée que l’exposition se déroule dans une bibliothèque, au cœur des livres, dans le bruissement des pages qu’on feuillette. C’est Paul Gravett, l’exégète, critique et éditeur britannique, qui a copiloté l’exposition avec les gens de la BPI. La garantie d’une approche fine et très bien documentée de l’œuvre et de l’artiste, qui constitue une sorte d’iceberg pour les lecteurs français, puisqu'à peine un quart de son travail est pour l’instant parvenu jusqu’à eux. Posy Simmonds est une autrice importante, qui a bousculé les codes narratifs de la BD avec son Gemma Bovary et les romans graphiques qui ont suivi. Lentement, mais sûrement, elle est en train de gagner sa place au Panthéon de la figuration narrative.
Elle a été surtout au départ de Denoël Graphic qui a fêté ses vingt ans en 2023 ?
Oui, c’est en quelque sorte notre marraine. En 2001, Héloïse d’Ormesson rapporte de la London Book Fair un étrange ouvrage intitulé Gemma Bovery, signé d’une certaine Posy Simmonds, inconnue en France. S’estimant inapte à évaluer la valeur et l’intérêt de ce livre hybride entre roman et bande dessinée, elle le confie à Lili Sztajn, ma compagne, à charge de me le transmettre pour que je rende mon avis de « connaisseur de la BD ». Je réponds : « Achète immédiatement ! » Quelques mois plus tard, le livre, traduit par Lili et moi, se révèle un succès critique et public : 15 000 exemplaires vendus en quelques semaines. Olivier Rubinstein, rusé renard, sent que cette forme de bande dessinée possède un fort potentiel. Il me propose de reprendre le label Futuropolis, en friche chez Gallimard, qui l’a racheté quelques années auparavant.
Un ou deux semestres passent et je me retrouve dans le bureau d’Antoine Gallimard pour énoncer le pitch du projet : une collection destinée aux lecteurs adultes, qui opérera à la frontière de la littérature et de la bande dessinée. Seule condition : qu’elle ne s’appelle pas « Futuropolis ». J’aime beaucoup Robial, créateur originel de la marque, et je ne souhaite pas reprendre sa boutique. En mars 2003, naît Denoël Graphic.
Pourriez-nous citer deux ou trois dessins montrés dans l’exposition, qui vous touchent particulièrement ?
La couverture de Gemma Bovery : mon tout premier éclat de rire en découvrant, au tournant du siècle, cette femme ultra-sexy rôdant dans la nuit avec sa bouillotte sous le bras. C’est ce qu’on disait des Anglais : ils n’ont pas d’amants, ils ont des hot water bottles [bouillotes]. Une image tirée de Literary Life, où un monsieur parle à une écrivaine : « Vous faites un livre par an… Traduit en 20 langues… Avec des billions d’exemplaires vendus… Pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ? » « Eh bien, répond la dame, j’écris pour les enfants. » Étant moi-même auteur jeunesse, la saillie me va droit au cœur. Enfin, plus récemment, ce dessin extraordinaire de Cassandra Darke chevauchant une énorme tortue avec des airs de pilote de kart. La représentation parfaite de l’âge – solide, fiable et lent.
Denoël Graphic a sorti un catalogue accompagnant l’exposition, comment s’articule-t-il avec le catalogue anniversaire où Posy Simmonds figure également ?
À l’occasion de nos 20 ans est sorti Denoël Graphic 2003-2023, un catalogue complet commenté. Il n’a rien à voir avec l’exposition de Posy qui a bénéficié de sa propre publication, le livre-catalogue True Love. C’est un plaisir que Denoël m’a autorisé. Adolescent, j’attendais en tremblant d’impatience les catalogues de Losfeld ou Pauvert, remplis de merveilles qu’aucun autre éditeur ne proposait : Siné, Vian, Sade, Barbarella de Forest, la revue Bizarre… Dans celui de Denoël Graphic, je raconte une anecdote pour chaque livre que j’ai édité. Une façon de faire entrer le lecteur dans les cuisines et de me rappeler à moi-même qu’il s’est passé deux décennies depuis que j’ai lancé ce truc et pas six mois et demi, comme j’en ai souvent l’impression.