Avant-critique Récit

Isabelle Cornaz, "La nuit au pas" (La Baconnière)

Isabelle Cornaz - Photo © DR/La Baconnière

Isabelle Cornaz, "La nuit au pas" (La Baconnière)

Dans une suite d'instantanés saisissants, la journaliste Isabelle Cornaz montre comment la capitale russe s'est transformée avec la guerre en Ukraine.

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Par Laurent Lemire
Créé le 28.08.2023 à 09h00

Les bruits de Moscou. « Une partie de ce que j'aimais a disparu. » Ce quelque chose évaporé se trouvait dans une ville, Moscou. La guerre en Ukraine l'a transformé en crainte. Les choses sont toujours à leur place certes, mais les repères moraux ont disparu. « Ce corps territoire est devenu un corps de rumeurs et de fossiles marins, un corps d'amour et de souvenirs, un corps d'une insoutenable violence. »

Par petites touches, comme à tâtons, Isabelle Cornaz a recherché le chemin des sensations perdues dans cette cité qu'elle a bien connue. Cette Nuit au pas, son premier livre, se présente comme une promenade, à mi-chemin du reportage et de l'évocation poétique. Cette journaliste helvético-espagnole qui a longtemps séjourné à Moscou travaille aujourd'hui à la rubrique internationale de la Radio Télévision Suisse. Avec un grand bonheur de style, elle raconte la transformation d'une ville porteuse d'histoire qui est en train d'en écrire une autre, illisible. « J'ai pensé à Moscou comme à un détail, une fleur. » Sauf que les fleurs ont peu à peu disparu. « Peu après le début de l'invasion russe en Ukraine, ce ruban, autour d'une fleur pour le soldat inconnu, où il est écrit : "nos ancêtres ne se sont pas battus pour ça." »

Dans les petites cours moscovites, on entend différemment les bruits de la capitale, comme un long murmure étouffé. On les distingue aussi dans les jardins collectifs, les microraïony, entre les tours d'habitation. Car la guerre a tout chamboulé. « Moscou a perdu la mémoire. » Mais les Moscovites sont toujours là ! Ils ont seulement perdu ce qui donnait un sens à leur ville et à leur vie. On le ressent particulièrement lorsqu'Isabelle Cornaz explique la structure concentrique du milieu urbain avec cette banlieue sans fin. Elle demande « Comment sortir de la ville ? » mais on entend « Comment sortir de la guerre ? ».

Avec l'œil du reporter qui photographie les petits riens qui en disent long, Isabelle Cornaz révèle ces images obsédantes. « Prendre des terres pour avoir l'air fort. Avoir l'air fort pour rester au pouvoir, assurer sa survie. Faire corps avec celui qui prend des terres pour avoir l'air fort. » En quelques mots, l'essentiel est dit. La géopoétique est parfois plus éloquente que la géopolitique.

Isabelle Cornaz
La nuit au pas
La Baconnière
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 € ; 88 p.
ISBN: 9782889601202

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