Septième roman de Sibylle Grimbert, La conquête du monde est un livre ténu, une fable contemporaine dont la morale pourrait être que chacun a une conception du bonheur qui lui est propre. Et que ceux qui l'entourent ont souvent bien du mal à la percevoir, même avec leurs sentiments les meilleurs.
Le héros, Ludovic Haguenau, historien prometteur devenu avocat, est un jeune homme brillant à qui tout réussit. Ça le rend même volontiers sentencieux. Dans un moment d'aberration, il quitte sa femme, Gaëlle, qu'il aime toujours à la folie, et leur fils, Martin, un préado sympa et déjà très lucide... C'est à partir de là que tout va déraper, et Ludovic devenir un vrai champion d'échecs. Il s'en rend compte un jour, à New Delhi, où il est censé négocier un gros contrat. Par sa faute, tout tourne à la catastrophe. Il aligne les retards, les gaffes, les provocations déplacées, les foucades absurdes. Résultat : il se retrouve seul, vide et déprimé, alors que tous les autres réussissent autour de lui.
Pathétique, il tente, pour se réconcilier avec sa femme, de se servir de son fils, lequel a de plus en plus de mal à comprendre son père. Et vu la façon dont il s'y prend, il y a peu de chances que ça marche. Il devient un zombie, un parasite qui vit un temps aux crochets de la riche Dorothée et de sa famille. Mais il sabote tout, et finit, pour vivre, par devenir nègre pour des hommes politiques.
Rideau ? Pas tout à fait. Quelques années plus tard, alors que Martin est salué jeune écrivain à succès, racontant son enfance dans le style "génération perdue", Ludovic rencontre Adèle, 18 ans, une copine de son fils, qui tombe amoureuse du barbon, envers et contre tout. Il est même question de mariage, de bébé... Serait-ce enfin l'occasion, pour notre héros, d'une prise de conscience, de se réconcilier avec lui-même et de se laisser aimer ? Ou bien sa nature ingérable sera-t-elle la plus forte ?
Avec habileté et malice, Sibylle Grimbert conduit le lecteur à s'intéresser, voire à s'attacher à Ludovic, être lunaire qu'on dirait sorti d'un poème de Michaux ou d'une aquarelle de Folon. Un petit bonhomme qui, devenu léger, léger, s'envole au-dessus du monde et de ses contingences. Ça fait presque rêver.