Luca, un professeur de philosophie romain en pleine crise de la cinquantaine, aurait-il dû, le 10 novembre 1995, lire son quotidien favori, La Repubblica ? Et tomber sur un article consacré à la biographie de "la Chanteuse", où, grâce à leurs lettres retrouvées, y était révélée la liaison passionnée qu’il a entretenue avec elle, brièvement, en 1967-1968. Jusqu’à ce qu’elle rompe, parce que c’était mieux pour lui, disait-elle.
Lui, Luca, 22 ans à l’époque, étudiant pauvre d’origine napolitaine, doit travailler dur pour aider sa famille. Tendre et romantique, passionné et jaloux, il vit leur rencontre à la manière de Breton dans Nadja. Elle, 34 ans, est une star de la chanson. Après quelques mois de rendez-vous clandestins, à Rome ou à Paris (elle l’invite à son retour à l’Olympia), d’étreintes passionnées (enceinte, elle se fera avorter sans rien dire), de caprices au gré de ses humeurs mélancoliques, de ses tentations suicidaires récurrentes, elle décide de mettre un terme à leur histoire. Mais elle financera ses études, lui écrira jusqu’en 1969. Et il découvrira combien il a compté pour elle, qui finira par se suicider en 1987.
Cet étalage de sa vie privée au grand jour fait resurgir de sa mémoire cette histoire douloureuse, que Luca n’avait jamais racontée. Elle accélère la crise de son couple. Mais il finira par se confier à sa mère, et tout rentrera dans un semblant d’ordre. Il n’aura séché ses cours que quelques jours…
S’inspirant bien évidemment du personnage et de l’histoire de Dalida, tels qu’ils ont été racontés par Catherine Rihoit en collaboration avec son frère Orlando (Dalida, Plon, 1995), Catherine Locandro a construit une fiction toute en délicatesse et en subtilité psychologique. Centrée sur Luca, bien sûr, un taiseux attachant, et sur "la Chanteuse", fidèle à ce qu’on sait d’elle, insupportable, pathétique, profondément déboussolée. Avec, bien sûr, obsédant, le thème du vieillissement, de la différence d’âge entre une femme et son jeune amant. Du vécu. En 1975, Pascal Sevran écrira pour Dalida Il venait d’avoir 18 ans, sans doute l’une de ses plus belles chansons. Luca a pu s’y reconnaître, y retrouver L’histoire d’un amour, dont Catherine Locandro a fait un beau roman sensible, bien dans sa manière.
J.-C. P.