L’intelligence artificielle générative (IA gen), capable de créer des contenus complexes à partir de données existantes, représente un véritable bouleversement pour les professions du livre. Malgré la signature de l’IA Act au niveau européen, auteurs et éditeurs voient leurs rôles redéfinis par des outils qui promettent des gains d’efficacité mais suscitent de profondes inquiétudes. Deux récents rapports, l’un de la mission française sur l’IA (CSPLA) et l’autre de l’association France Digitale, aboutissent à ces conclusions en demi-teintes.
Le droit d’auteur, un pilier fragilisé
« Peut-on nourrir des IA génératives par des contenus protégés par le droit d’auteur ? » s’interroge France Digitale dans son rapport, rendu public le 11 décembre. L’utilisation massive de contenus littéraires pour entraîner ces modèles repose souvent sur des pratiques de scraping, parfois effectuées sans consentement explicite des ayants droit. Cette situation expose les professionnels du livre à une érosion de leurs revenus et menace leur contrôle sur leurs propres créations.
Le rapport du CSPLA, présenté deux jours auparavant, souligne par ailleurs que « les auteurs et éditeurs ne disposent pas d’outils efficaces pour empêcher l’utilisation non autorisée de leurs œuvres, les protocoles actuels étant souvent ignorés par les collecteurs de données. » Créant donc une asymétrie entre les grandes plateformes technologiques et les créateurs.
Une transparence encore insuffisante
Le règlement européen sur l’IA (IA Act, 2023) impose une obligation de transparence pour les modèles génératifs, exigeant des fournisseurs qu'ils fournissent un résumé des contenus utilisés pour entraîner leurs modèles. Cependant, comme l’explique le CSPLA, « ce résumé ne contient souvent que des informations agrégées, rendant difficile l’identification des œuvres spécifiques éventuellement exploitées. » A ce problème, France Digitale propose une solution pragmatique : « Instaurer une compensation forfaitaire pour les ayants droit, inspirée du modèle de la copie privée, tout en légalisant le scraping des contenus accessibles en ligne. » Ce compromis pourrait réconcilier innovation et respect des droits d’auteur.
Un risque de sous-représentation culturelle
L’absence de données européennes dans les modèles d’IA pourrait également entraîner une marginalisation des langues et cultures locales. « Si les développeurs cessent d’utiliser des données européennes, les résultats produits par l’IA ne reflèteront plus notre diversité linguistique et culturelle », avertit France Digitale.
Pour les éditeurs et libraires, cela représente un double danger : d’une part, l’affaiblissement des productions locales face à des contenus dominés par des acteurs extra-européens ; d’autre part, la difficulté de promouvoir des œuvres créées dans des contextes culturels spécifiques.
Des opportunités à exploiter malgré les menaces
Malgré ces risques, les deux rapports reconnaissent les potentialités offertes par l’IA générative. Le CSPLA souligne que ces technologies pourraient aider les éditeurs dans des tâches comme la traduction automatique ou la création de contenus augmentés. De même, pour les libraires, des outils d’analyse basés sur l’IA peuvent enrichir les recommandations personnalisées.
Cependant, France Digitale insiste sur la nécessité d’un cadre éthique clair : « L’innovation doit respecter nos valeurs culturelles et démocratiques. Nous devons garantir un accès équitable aux données tout en préservant les droits des créateurs. »
La convergence de ces constats dessine un futur en demi-teinte, nécessitant une mobilisation des acteurs du livre et des pouvoirs publics afin d'influencer la mise en œuvre des réglementations, et encourager des initiatives de soutien aux contenus européens. « Céder à l’opposition entre innovation et culture est un vain combat, » finit France Digitale. Trouver un équilibre est non seulement essentiel pour protéger les professions du livre, mais également pour préserver le pluralisme culturel et linguistique qui fait la richesse de l’Europe.