81 % des personnes répondant à notre consultation ont déjà été témoins d'agissements sexistes et sexuels et 61 % en ont été personnellement victimes. Ces chiffres vous surprennent-ils ?
Ces chiffres me semblent considérables mais ils ne me surprennent pas. Au début de la vague #metoo, nous étions persuadés, avec mes équipes, que cela allait aussi émerger dans l'édition. Certaines maisons sont réputées pour protéger la réputation d'auteurs au comportement problématique dont elles tirent l'essentiel de leurs ventes. L'édition, à l'instar des autres milieux culturels, n'est pas à l'abri des dérives sexistes et sexuelles. Il n'y a donc pas de raison qu'elle ne soit pas concernée.
Avez-vous mis en place des mesures de prévention des agissements sexistes et sexuels au sein du Seuil ?
Depuis mars 2019, notre comité économique et social (CSE) s'est saisi de la question des violences sexistes et sexuelles. Une élue s'est proposée pour recueillir d'éventuels témoignages et plaintes. Il est d'ailleurs fondamental que ces référents ne soient pas issus de la direction. Notre référente est bien identifiée au sein de la maison. Fort heureusement, aucune plainte n'est jusqu'ici remontée. À mon arrivée au Seuil, j'ai progressivement féminisé et rajeuni le comité de lecture de fiction française. Bien qu'il ne soit pas encore paritaire, il est plus équilibré aujourd'hui. Je porte également attention aux questions d'inégalités salariales. Un nombre important de mes chefs de service sont des femmes. Une maison qui en a les moyens peut être extrêmement volontariste au sujet des inégalités salariales. Ce n'est pas toujours le cas. L'important est d'avoir conscience de ces problématiques. Nous gardons en tête la question du genre à chaque entretien individuel ou à chaque définition de notre politique salariale. De la même manière que nous faisons attention qu'au sein des réunions, les hommes blancs de 50 ans ne coupent pas systématiquement la parole aux femmes de 22 ans. Tout ceci relève de l'éthique et de bonnes pratiques.
Quelles seraient les mesures à adopter à l'échelle de l'interprofession ?
On pourra signer toutes les chartes que l'on veut, s'il n'y a pas de « rapporteur » extérieur, ce ne sera pas suffisant. Il pourrait ainsi être utile de nommer une personne référente ou une instance d'appel externe aux maisons d'édition, qui serait susceptible de recueillir les témoignages des victimes et de dresser un état des lieux.
Cécile Hamon avait par exemple observé, en 2014 dans un rapport sur l'égalité femmes-hommes dans le spectacle vivant, que la quasi-totalité des scènes nationales et régionales étaient dirigées par des hommes. Ce rapport avait fait l'effet d'une bombe et depuis la situation a changé. Intuitivement, j'ai l'impression que l'édition permet aux femmes d'accéder à des postes à responsabilité à l'instar de Michèle Benbunan, directrice générale d'Editis. Mais l'édition a besoin d'informations statistiques précises pour analyser ce sujet de manière fiable. Évidemment, le fait d'embaucher davantage de femmes à des postes à responsabilité ne va pas résoudre le rapport auteur-éditeur ou auteur-attaché de presse mais cela aiderait à lutter contre ces violences. Les salariés, femmes et hommes, pourraient ainsi bénéficier d'une oreille beaucoup plus attentive.
Emmanuelle Richard dénonce « un climat de flirt dans la culture française, exacerbé dans l'édition » (lire p. 49). Partagez-vous cette affirmation ?
J'ai le sentiment que cette culture du flirt à la française existe. Elle est encouragée et entretenue par un discours public défendant la galanterie à la française et une forme de courtoisie appuyée. Mais quand des voix importantes prennent publiquement la défense de cette tradition de la galanterie, on sait bien ce à quoi ils pensent réellement...