Avant-critique Essai

Hartmut Rosa, "No Fear of the Dark. Une sociologie du heavy metal" (La Découverte)

Janick Gers et Steve Harris, respectivement guitariste et bassiste d'Iron Maiden - Photo ds/fk - AFP - DIBYANGSHU SARKAR

Hartmut Rosa, "No Fear of the Dark. Une sociologie du heavy metal" (La Découverte)

Hartmut Rosa, théoricien de la résonance, analyse le phénomène du heavy metal et ébauche une sociologie de ce genre musical.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 04.05.2024 à 11h00

Full metal enquête. A pour « Adorno, Theodor W. [...] comptant parmi les principaux représentants de la théorie critique (École de Francfort) », W pour « Wall of Death, variante du moshpit », où deux groupes formés par le public d'un concert de heavy metal entrent en collision au signal des musiciens... Le glossaire du nouvel ouvrage d'Hartmut Rosa est étonnant, si ce n'est détonant puisque s'y mêlent noms de philosophes ou de sociologues et de groupes de hard rock et de heavy metal, concepts philosophiques et références à ce genre musical abondant en décibels. Le propos de l'essai ne l'est pas moins. L'auteur allemand confesse qu'il est juge et partie : il est fan depuis l'adolescence. Iron Maiden fut une épiphanie, à 15 ans, il écoute leur premier album en boucle. Toutefois, au-delà de son goût subjectif, Hartmut Rosa n'entend pas moins produire une « sociologie du heavy metal ». Dans No Fear of the Dark, le penseur de la relation au monde - qu'il a conceptualisée sous le nom de « résonance » - analyse ce phénomène musical et culturel qui a essaimé aux quatre coins de la planète, et tente de sortir cette musique de la case sous-genre pour brutes hirsutes et hurlantes afin d'en révéler tous les ressorts. Hartmut Rosa cite une enquête de l'université de Warwick sur les goûts musicaux auprès de mille adolescents d'un QI de plus de 130 : « La proportion des fans de metal est bien plus supérieure dans ce groupe que dans la population "normale" »...

Pour mémoire, la résonance selon Hartmut Rosa est « une expérience d'entrée en relation. » Elle comporte quatre phases : « le monde nous parle (1) » ; « quelque chose en nous réagit, répond à cet appel (2) » ; ledit appel est ce « par quoi s'accomplit en nous une transformation (3) »  ; « cette expérience profonde, parfois existentielle, prend place dans des segments de monde indisponibles ; on ne peut pas l'imposer, elle reste rare et de courte durée (4) ». Déjà, dans les années 1960, en pleine guerre froide, le rock était, du fait de sa « violence primitive », considéré comme une menace pour la société « à la fois par la CIA et le KGB ». Avec le heavy metal, l'« enfant du rock », c'est au centuple pour la sauvagerie. « [Son] énergie monstrueuse » est capable d'engendrer de la résonance.

Radical par son volume sonore, des lyrics teintés de ténèbres sataniques, des chansons aux accents morbides ou apocalyptiques voire tutoyant parfois des sujets néonazis (certains groupes se revendiquent de l'extrême droite), le heavy metal l'est aussi par son mode d'écoute, « la cohésion et l'opiniâtreté de sa scène », sa communauté de fans. « Dans le heavy metal, le CD et le microsillon continuent de matérialiser l'"œuvre" qui se présente comme une œuvre totale constituée de texte, de musique, de typographie, d'image et de "visuel". » Pour l'auteur de Résonance (La Découverte, 2018), le heavy metal, c'est un peu le David rétif à la culture de la playlist victorieux du Goliath de l'industrie culturelle.

Hartmut Rosa
No Fear of the Dark. Une sociologie du heavy metal
La Découverte
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782348082948

Les dernières
actualités