Que fait-on, le bac en poche, quand on est passionné par les jeux vidéo ? Grégoire Hellot, 40 ans désormais, a choisi d’apprendre à parler le japonais. Un diplôme de l’université Paris-7 Jussieu en poche, le jeune homme devient journaliste spécialisé dans les jeux vidéo et la culture japonaise. Nous sommes au milieu des années 1990, les jeux vidéo explosent, et pendant treize ans, il multiplie les piges dans la presse spécialisée, les chroniques à la radio, sur Skyrock ou RMC.
Grégoire Hellot quitte la presse lorsqu’un ami libraire le prévient qu’Univers Poche et son P-DG de l’époque, Jean-Claude Dubost, veulent se lancer dans le manga. Dans un marché alors déjà saturé, la difficulté est de trouver quelqu’un qui à la fois connaît le secteur, a une vision éditoriale et, surtout, parle le japonais. "J’ai mis une chemise, je me suis pointé, et j’étais directeur. Tout m’est tombé dessus complètement par hasard", raconte le jeune directeur décontracté. Kurokawa, "fleuve noir" en japonais, était né.
C’était il y a tout juste dix ans, un anniversaire que l’éditeur fête cette année en librairie. Le label manga d’Univers Poche, en 4e position sur le marché français, publie deux fois moins de titres que ses concurrents, soit 8 ouvrages en moyenne par mois. Un souci d’indépendance éditoriale et d’originalité qui a fait son succès en librairie.
Surbooké, toujours pressé, Grégoire prend néanmoins le temps de se rendre au moins trois fois par an au pays du Soleil-Levant, chaque fois pour deux semaines. Il rencontre les éditeurs et instaure avec eux une véritable relation de confiance. "Au Japon, mes rendez-vous durent en moyenne 3 heures complètes. Je ne vois pas l’utilité d’aller à Francfort pour un rendez-vous, dans l’urgence, d’une demi-heure."
Librairie fétiche
A Tokyo, le jeune père de famille a ses adresses. Comme sa librairie fétiche, où il se rend pour connaître, avec certitude, les tendances de demain. "Tout ce que cette librairie met en avant cartonnera dans six mois. Si les filles à lunettes sont à la mode l’année prochaine, c’est là-bas que je le saurai." Il défriche les tendances, observe et sélectionne sans relâche pour élargir la ligne éditoriale de Kurokawa. Son ambition : "Faire de Kurokawa un trait d’union entre les publics qui ne lisent que du manga et ceux qui n’en lisent jamais.""Je ne me considère pas comme un éditeur engagé, précise-t-il, mais j’essaye d’apporter du divertissement à un maximum de gens."
Lors du dernier Salon du livre de Paris, sa dernière licence, Les misérables, une adaptation graphique de l’œuvre de Victor Hugo par le mangaka Takahiro Arai, a fait l’objet d’une véritable razzia : tous les exemplaires disponibles à la vente sur le stand Kurokawa ont été écoulés. On retrouvera d’autres adaptations dans le catalogue des 10 ans de l’éditeur, comme celle d’Arsène Lupin, prévue pour le mois de novembre. L’éditeur proposera aussi une réinterprétation moderne d’Ultraman, premier super-héros japonais apparu dans les années 1960. Quant à Grégoire, vous pourrez le retrouver dans les allées de la prochaine Japan Expo, déguisé en Nyanpire, en Sinbad (personnage de la série Magi, the labyrinth of magic) ou encore en Pokémon.