Est-ce parce qu’il se refuse depuis toujours à tout "folklorisme" latino, inscrivant plutôt son œuvre quelque part entre John le Carré et W. G. Sebald, que Jorge Volpi n’a peut-être pas en France la place qu’il mériterait ? C’est-à-dire depuis la parution d’A la recherche de Klingsor (Plon, 2001), Le temps des cendres (Seuil, 2008) ou Le jardin dévasté (Seuil, 2009). Au Mexique, et dans l’ensemble du monde hispanophone, où il est sans doute le romancier le plus loué depuis Carlos Fuentes, la question de son talent ne se pose plus. Et sa récente obtention à Madrid du prestigieux prix Alfaguara pour son prochain livre, de non-fiction cette fois-ci, consacré à l’affaire Florence Cassez, ne fait que le confirmer.
En attendant avec impatience, intéressons-nous à ce très troublant, très savant et très réussi Examen de mon père dont le sous-titre Dix leçons d’anatomie comparée dit assez le caractère encyclopédique du projet. Dans ces pages, il sera donc question du corps, du cerveau, de la main, du cœur, de l’œil, etc., mais aussi de leurs corollaires, le pouvoir, les passions, l’harmonie, le secret ou la mélancolie, entre autres. Il sera surtout question du père de l’auteur. De son déclin et de sa mort d’abord, le 2 août 2014, de sa vie avant tout, passée à essayer de sauver celle des autres en sa qualité de médecin chirurgien.
Sa figure austère, noble et droite, un tantinet marmoréenne, aussi, a façonné celle de son fils, son rapport au monde et au réel, son exigence. Et à l’heure de lui édifier un tombeau, Jorge Volpi en revient à ce qui le fonde : son amour infini de la musique classique et de son métier. De quoi s’agit-il, nous demande-t-il ? De réparer les vivants et les morts, de réordonnancer le monde, de prétendre à lui donner sinon un sens, du moins une cohérence minimale. Rappelant les grandes étapes de la science chirurgicale à travers l’Histoire, "agrémentant" son propos de nombreuses planches anatomiques, Volpi ne s’en tient bien sûr pas là. Très naturellement, il crée un parallèle entre le déclin physique et cognitif de son père dans ses vieux jours et celui en quelque sorte de son pays, le Mexique, en proie à une stupéfiante recrudescence de la violence durant ces années 2005-2014. Tandis que son père se défait peu à peu de tout, de tout plaisir, tout intérêt, à travers sa télévision lui parviennent, ainsi qu’à son fils, les images d’un autre corps en décomposition : le corps social du Mexique. Témoin impuissant et rageur de ce double désastre, Jorge Volpi doit pour mieux le comprendre, ou au moins en porter témoignage, faire aussi retour sur lui-même, sur l’enfant et l’adolescent pétrifié de timidité qu’il était, sur sa découverte de la sensualité dans un monde catholique, marqué par la faute. Ce faisant, à travers ce triple exercice de dévoilement, il rend à son père un témoignage à la fois teinté d’admiration et de libération. O. M.