Tout juste traduit en français, ce roman norvégien paru en 1977 demeure d'une actualité renversante. En terre d'Égalie, ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir. Ainsi toutes les évidences quant aux attributions de genre hétéropatriarcales dans lesquelles nous vivons aujourd'hui s'écroulent-elles dans ce roman où les femmes et le féminin sont la norme. Parce que les femmes ont le pouvoir d'accoucher, elles sont détentrices de privilèges qui s'appliquent à tous les aspects de leur existence : elles bénéficient des meilleures études et occupent les postes les plus haut placés ; leurs salaires sont les plus élevés ; elles choisissent leur époux et leur permettent d'obtenir un « pacte protège-paternité », leur assurant une place dans la société. Les hommes, quant à eux, sont chargés des tâches domestiques - s'occuper des enfants, du ménage et de la cuisine -, doivent porter le « soutien verge », un sous-vêtement inconfortable au possible, et apprennent à rester imberbes, coquets, et surtout, bien à leur place.

Chaque détail de la vie intimement politique émerge ainsi de la plume de Gerd Brantenberg. L'inversion des rapports de pouvoir trouve son paroxysme dans la construction d'un langage où le féminin l'emporte.

Dystopie féministe

C'est dans ce contexte qu'évolue Pétronius, personnage principal du roman. Il veut devenir « marine-pêcheuse », mais la mer ayant toujours été un milieu hostile, ce métier est réservé aux femmes. Le jeune homme subit toutes sortes de mésaventures masculines - oppression quotidienne par les femmes de sa famille, viol collectif par des inconnues alors qu'il se balade seul la nuit, coups vengeurs de son épouse Rosa lorsqu'il tente d'exposer ses convictions masculinistes... Jusqu'à ce qu'il se décide, avec ses camarades et leur professeur, mademoiseau Tapinois - un vieux garçon très au fait des théories masculinistes -, à mener une lutte pour l'égalité des droits entre les genres. « Quelle garantie avons-nous que nos révoltes ne tomberont pas à leur tour dans les poubelles de l'histoire ? [...] Ce sont les femmes qui décident de ce qui doit être publié. [...] Ce sont les femmes qui écrivent l'histoire. »

L'effet comique de ce retournement total des rôles et des habitus de genre fonctionne à merveille. Quoique le rire soit un peu jaune lorsqu'on réalise à quel point il traduit une réalité dans laquelle nous nous sommes si bien conformés malgré les luttes féministes, particulièrement actives depuis le mouvement #MeToo.