Avant-critique Roman

George Gissing, "New Grub Street" (Beau Dommage)

George Gissing - Photo © DR/Beau dommage

George Gissing, "New Grub Street" (Beau Dommage)

Paru en 1891, ce classique signé George Gissing est une sorte d'Illusions perdues façon victorienne. À (re)découvrir !

Parution 13 septembre

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Par Sean Rose
Créé le 13.09.2024 à 14h00

La galère du plumitif. Grub Street, à Londres, est encore au XVIIIe siècle la rue des libellistes et autres plumitifs crève-la-faim. Le lexicographe anglais Samuel Johnson relève le terme « grubstreet » dans son Dictionnaire, donnant à cette métonymie le sens de piètre production littéraire... Au siècle suivant, cette rue va cesser d'être le quartier des écrivaillons, mais l'expression pour désigner la galère des gens de lettres payés au lance-pierre demeure. Intitulé New Grub Street, le roman de George Gissing paru en 1891 est une manière d'Illusions perdues, façon victorienne. Il décline le thème classique du duel de la quête sans concession de l'œuvre ultime et de la reconnaissance que permet le succès de librairie... La classe sociale la plus à même de ressentir ce déchirement cruel est cette petite bourgeoisie cultivée à laquelle appartenait Gissing. Edwin Reardon, le héros du roman, n'est pas assez riche pour se consacrer à son art sans travailler, trop lettré pour ne pas voir dans la fiction commerciale qu'il doit produire afin de subsister une forme de déchéance. À ses débuts, le célibataire n'avait d'autre pression que celle qu'il se mettait pour écrire selon sa vision de la littérature. Il avait même eu de bonnes critiques. Quand il se marie avec Amy Yule, Reardon apparaît comme un écrivain prometteur. Désormais obligé de faire vivre sa petite famille (ils ont eu un enfant), il signe des contrats qu'il ne parvient pas à honorer... C'est la page blanche, il écrit et réécrit, sans succès, malgré les encouragements de sa pragmatique épouse : « C'était peut-être différent autrefois mais tu dois maintenant écrire pour le marché. »

Jasper Milvain, ami d'Edwin, a lui aussi l'ambition de devenir un grand écrivain. En vérité, plus ambitieux que véritablement littéraire, le cynique se dédie au journalisme et à la critique qui fait et défait les carrières. Il fréquente Marian, fille d'écrivain, la cousine d'Amy. La jeune femme aussi jolie que douée entend épouser l'opportuniste contre l'avis de son père. Mais est-elle assez fortunée pour ce jeune loup des lettres ? Avec un art consommé de l'intrigue et cette finesse psychologique qui fait de lui un portraitiste acéré, Gissing nous fait vivre les affres d'une condition qu'il a lui-même vécues. S'il n'a pas la notoriété d'un Dickens, il fut fort lu en son temps et admiré par des auteurs comme Orwell. De ce côté-ci de la Manche, l'écrivain est méconnu. Mais grâce à cette nouvelle traduction aux éditions Beau dommage, le public français pourra enfin goûter ce chef-d'œuvre du réalisme de la fin du règne de Victoria.

George Gissing
New Grub Street
Éditions Beau dommage
Traduit de l'anglais par Alain Jumeau
Tirage: 800 ex.
Prix: 27 € ; 560 p.
ISBN: 9782958360306

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