Du blues à l'âme. Voilà près de seize ans, Frantz Duchazeau publiait, déjà chez Sarbacane, Le rêve de Meteor Slim. Un album charbonneux et tonitruant, charnière dans sa bibliographie, qui brossait le parcours d'un bluesman fictif croisant la route de Robert Johnson, légende de la musique noire américaine. Depuis, l'auteur a continué de s'intéresser à la création et à son impact sur le public, avec Lomax, La main heureuse, Blackface Banjo, Mozart à Paris ou Le peintre hors-la-loi. Le voir revenir aux sources, à Robert Johnson et à son blues viscéral, n'est pas illogique. Il n'avait pas tout dit avec Meteor Slim, et son pinceau s'est affûté au fil des ans. Son goût pour la comédie humaine s'est affiné, obscurci aussi. Et puis, entre-temps, Mezzo et Jean-Michel Dupont ont publié le plébiscité Love in vain (Glénat, 2014), biographie vénéneuse et expressionniste du guitariste mort à 27 ans. Un style aux antipodes de celui de Duchazeau, qui se moque de flatter le lecteur quand il s'agit de mettre au jour les tourments profonds de son héros.
Laissant les légendes trop belles de côté, l'auteur conte la dernière errance du musicien quasi-clochard. Au fil de cet autodestructeur aller-retour pour New York, Johnson manquera l'opportunité de jouer au Carnegie Hall, couchera avec d'innombrables conquêtes, fuira les villes où l'on pend les Noirs par habitude, se battra beaucoup, s'enivrera plus encore. Frantz Duchazeau met alors en avant deux plaies de ce gamin paumé : l'absence de père et la mort de sa femme et de son enfant à naître. Deux blessures qui l'ont torturé toute sa courte vie, comme il le dit en voix off en pensant au vieux Ike Zimmerman, qui l'avait recueilli et lui avait appris la guitare. « Je cherchais un père, je cherchais mon père. Je l'ai trouvé. Évidemment, je ne pourrais jamais l'exprimer ainsi, Ike. Je préfère le garder en moi et le chanter plutôt que le dire. » Si le blues est la musique de la douleur, celui de Robert Johnson en était la quintessence, avec une violence supplémentaire dont on perçoit ici les sources. « Les morts sont finalement plus vivants que moi », conclut-il. Avec cette œuvre à la narration ambitieuse et âpre, Frantz Duchazeau poursuit sa quête de ce qui constitue un artiste et sa pulsion créatrice, parfois mortifère. Il n'a sans doute jamais été aussi proche de le trouver.
Les derniers jours de Robert Johnson
Sarbacane
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 29,90 € ; 240 p.
ISBN: 9782377318353