Consacrée au «
partage de la valeur », sujet qui gâche souvent les relations entre auteurs et éditeurs, la table ronde de la seconde journée du forum sur « L'auteur et la création sur Internet » s'est ouverte par un rappel à la loi sur le prix du livre numérique, qui doit notamment favoriser «
une rémunération juste et équitable de la création et des auteurs » a insisté Geoffroy Pelletier, directeur général de la Société des gens de lettre, organisatrice de la manifestation.
Sur fond de reprise des discussions entre le Comité permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition à propos du contrat d'édition à l'ère numérique, toujours dans l'impasse, Philippe Aigrain (essayiste, La Quadrature du net), Alban Cerisier, secrétaire général de Gallimard, et président de la commission numérique du SNE, Hadrien Gardeur, co-fondateur de la librairie numérique feedbooks.com, Hervé Le Tellier, écrivain et Marion Mazauric, directrice et fondatrice des éditions Au Diable Vauvert, ont partagé leur expérience à défaut de valeur, sur le sujet.
« Les auteurs vivent mieux que les salariés de la maison » remarque Marion Mazauric, ce qui provoqué quelque agitation dans la salle. Mais elle a fait des comptes très précis pour les besoins d'un dossier de subvention, et remarque que ce nouveau support « coûte beaucoup d'argent à l'éditeur, ne rapporte rien au diffuseur, et un peu à l'auteur ». Au Diable Vauvert a investi 53 000 euros cette année, pour 25 000 de recettes, et 45 000 euros l'an prochain. « Pour le moment, il n'y a pas de valeur économique, mais une valeur d'innovation, de compétitivité, d'acquisition d'expérience », souligne-t-elle, en ajoutant qu'elle avait décidé d'accorder 20% de droits numériques uniformément à ses auteurs, pour des raisons de simplicité de gestion, avec une rediscussion annuelle des clauses. Le travail de l'éditeur n'est plus dans l'impression mais dans la gestion des droits étrangers, la promotion, le marketing, etc., qui sont autant de frais incompressibles.
Alban Cerisier explique que Gallimard « compense la baisse du prix public numérique par une rémunération plus élevée en pourcentage, avec des clauses de rendez-vous. Le passage au poche du papier entraîne une nouvelle baisse du prix du fichier numérique, mais la rémunération de l'auteur reste égale à celle de l'exploitation courante : sur 3 ans, l'ensemble représente une rémunération en valeur nettement supérieure à celle du papier » a-t-il souligné, se disant choqué « qu'on ne tiennent pas compte de cette situation d'investissement en cours ». Il a aussi souligné que la vente numérique n'est encore qu'additionnelle, pour la littérature générale.
Droits plus élevés aux USA
Hervé Le Tellier s'est étonné du tableau brossé par les éditeurs français, alors que son éditrice américaine lui a proposé, au vu des conditions qui lui sont faites ici, de l'éditer d'abord aux Etats-Unis et de le représenter ensuite en France, se faisant fort de lui obtenir des droits plus élevés. « Mes droits aux Etats-Unis sont à 50% du prix net éditeur sur le livre, qui n'est parfois qu'à un ou deux dollars, mais l'ensemble est quand même meilleur qu'en France » assure-t-il. L'auteur note aussi qu'Apple fournit maintenant un logiciel qui lui permettrait de faire ses epub lui-même, avec un partage de la valeur à 30/70% en faveur de l'auteur, ce qui ne l'empêche pas de souhaiter le maintien de sa relation avec l'éditeur, dans la confiance.
Hadrien Gardeur a expliqué que le marché étranger représente un gros potentiel de recettes à venir, notamment sur les smartphones, mais que les taxes compliquent beaucoup la maîtrise du prix. Et pour les grands opérateurs nouveaux venus sur ce marché, le livre n'est qu'un produit annexe, sauf pour Amazon dont la stratégie tarifaire très agressive vise à éliminer ses concurrents pour contrôler le marché, a-t-il ajouté. Le pouvoir de ces revendeurs, qui obtiennent de meilleures conditions des éditeurs, est encore accru par l'information très précise qu'ils détiennent sur les comportements de lecture, et qu'ils ne partagent pas. La baisse du prix du livre n'est pas inéluctable a-t-il également expliqué, et semble plutôt correspondre à une phase de lancement du marché, suivi d'une remontée du prix moyen,comme il l'a constaté sur les ventes de Feedbooks aux Etats-Unis.
Un nouveau pacte social entre auteurs, éditeurs et lecteurs
Philippe Aigrain, qui se définit comme un « écriveur numérique » étonné du volume de ses publications en papier depuis qu'il s'intéresse à ce sujet, souhaite un nouveau pacte social entre auteurs, éditeurs, et lecteurs autour d'une « contribution créative, obligatoire, que les associations de consommateurs approuvent » - en fait, la licence globale, épouvantail pour des producteurs de contenus. Il a aussi noté que le numérique a fait bourgeonner un grand nombre de nouveaux auteurs de textes divers, mais que la lecture stagne, au mieux, et se réduit plus certainement en raison de la concurrence de nouveaux loisirs... numériques.
Depuis la salle, Marie Sellier, co-présidente du CPE, entend bien que les éditeurs sont en phase d'investissement, et donc d'incertitude, mais ajoute qu'il est de fait déraisonnable de demander aux auteurs de s'engager pour toute la durée de la propriété intellectuelle - soit toute leur vie, et celle leur descendance, puisque cette propriété dure jusqu'à 70 ans après leur mort. La solution, ce serait des contrats de courte durée, propose-t-elle, avec rediscussion en fonction de l'évolution du marché - ce qui crispe considérablement les éditeurs.
Lire aussi :
Forum SGDL - 1 : L'identité de l'auteur remise en cause sur Internet ?
Forum SGDL - 2 : « Sur le web, une oeuvre s'enrichit et se réinvente »
Forum SGDL - 3 : Et la création dans tout ça ?
Forum SDGL - 4 : L'incertain partage de la valeur entre auteur et éditeur
Forum SDGL - 5 : Aurélie Filippetti veut une solution rapide au contrat d'édition numérique
Forum SDGL - 6 : Internet fait bouger le droit d'auteur