L'un est aujourd'hui, sans doute, l'un des peintres vivants les plus célébrés dans le monde ; l'autre, aquarelliste précieux, est mort en 2003, ruiné, alcoolique et oublié de tous. Le premier est petit, blond et affligé d'une certaine tendance à l'embonpoint ; le second était un géant (plus de deux mètres) efflanqué, sarcastique et de plus en plus mélancolique au long des années. Don Quichotte et Sancho Pança. Soit David Hockney et Patrick Procktor. Deux chiens fous jetés dans le jeu de quilles du swinging London et qui contribuèrent grandement à lui donner sa couleur. Deux amis donc, à qui tout semblait promis et qui aimaient les mêmes choses : peindre, voyager, les garçons, fumer, l'insolence de ceux qui savent faire des grimaces dans les courants d'air. Deux types pleins de vie et de joie qui se sont connus en même temps que reconnus. Au début, sans doute Patrick eut-il même plus de succès − ou en tout cas plus vite − que David. Puis, effet sans doute du goût de la procrastination de Procktor et de celui pour le travail acharné d'Hockney, les choses s'inversèrent assez rapidement. David partit cueillir la gloire en un paradis californien composé de piscines et de promesses, Patrick resta, et les choses aussi, en l'état. Les compagnons des jours de fête, les Cecil Beaton, Mick Jagger, Ossie Clark, Celia Birtwell, la princesse Margaret, s'éloignèrent ou disparurent. Et bientôt, tout fut consumé. Ne demeura qu'une question lorsque de loin en loin resurgit tel ou tel tableau de Patrick Procktor : celle de la dette artistique qu'aurait pu contracter envers lui David Hockney.
Depuis son très beau Égéries sixties (Fayard, 2006), Fabrice Gaignault s'est fait le chroniqueur empathique des beautiful people. Avec ce Patrick Procktor, le secret de David Hockney, il est à nouveau pleinement dans son élément. L'air de ne pas y toucher et avec une élégance de style et de comportement, il mène l'enquête, poussant les archives aux aveux et rencontrant les derniers survivants (y compris Hockney, en son refuge normand) de cette parenthèse enchantée, refermée en un nuage de poudre et d'oubli. Passionné depuis toujours par la question de la représentation, Gaignault sait rendre intelligible à tous les grands enjeux de l'art contemporain de la deuxième moitié du XXe siècle. C'est passionnant.