À défaut de gagner des élections, Éric Zemmour a gagné contre son ancien éditeur. Dans un arrêt rendu le 21 mars 2025 (n°23/19314), la Cour d'appel de Paris a eu à examiner la résiliation contractuelle entre la société Rubempré, dirigée par Éric Zemmour, et les éditions Albin Michel, qui avait défrayé la chronique au moment des élections présidentielles de 2022.
Splendeurs et misères des campagnes électorales
Dans cette affaire, la société Rubempré avait conclu un contrat avec les éditions Albin Michel le 4 mai 2015, portant sur les droits d'édition d'un ouvrage initialement intitulé « Ces traîtres qui ont défait la France », qui étonnamment ne portait pas, malgré le titre, sur l’extrême droite, les antidreyfusards, les ligues fascistes, Vichy ou l’OAS, et dont la publication devait intervenir après remise définitive du manuscrit prévu au plus tard en juillet 2019. Toutefois, cette date fut dépassée sans réaction formelle de l'éditeur.
Le 22 juin 2021, soit près de deux ans après l'échéance initialement prévue, les éditions Albin Michel notifiaient à Éric Zemmour leur décision unilatérale de résilier le contrat. Deux raisons principales furent avancées par l'éditeur : le calendrier politique envisagé par l'auteur pour accompagner la publication et le retard considérable dans la remise du manuscrit définitif. Éric Zemmour et la société Rubempré dénonçaient une rupture brutale et injustifiée, ce qui entraîna leur procédure judiciaire.
En première instance, le tribunal de grande instance de Paris avait débouté la société Rubempré et Éric Zemmour de leurs demandes en dommages et intérêts au titre du droit moral de l'auteur, de la perte de gains, du préjudice moral et en paiement du minimum garanti et avait condamné la société Rubempré à payer 30 000 euros à la société éditions Albin Michel. La société Rubempré et Éric Zemmour avait fait appel.
Les illusions perdues
Pour justifier la résiliation fautive des éditions Albin Michel, la Cour d'appel de Paris a estimé que l'éditeur n'avait jamais signifié son mécontentement quant au retard dans la remise du manuscrit durant près de deux années, ce qui induisait logiquement une acceptation tacite du retard. Elle a aussi souligné le fait qu'une résiliation unilatérale ne pouvait être admise qu'en cas de manquement évident et préalable d'une des parties à ses obligations contractuelles, à condition que ce manquement soit formellement constaté ou signifié dans un délai raisonnable. Or, en l'espèce, l'absence totale de mise en demeure ou de demande explicite de respect des délais par l'éditeur a été donc interprétée comme une prorogation tacite des obligations initiales.
Petite misère de la vie éditoriale
Face à la résiliation jugée fautive, la Cour a accordé à la société Rubempré une indemnisation de 10 000 euros au titre du préjudice moral ; ce montant visant à compenser les perturbations et les difficultés logistiques significatives engendrées par l'obligation soudaine faite à la société Rubempré de publier elle-même l'ouvrage en urgence, afin d'assurer sa parution lors de la rentrée littéraire de 2021. La Cour a considéré que ce contexte précipité avait exposé la société à des critiques virulentes de la part de la presse et du public, concernant notamment des défauts éditoriaux attribués à une publication réalisée dans la hâte.
En revanche, la Cour a refusé d'accorder à la société Rubempré la totalité du minimum garanti prévu contractuellement, fixé initialement à 100 000 euros. Elle a estimé que seules les prestations effectivement réalisées méritaient rémunération. Ainsi, elle a confirmé que seule la première tranche de 30 000 euros, versée à la signature du contrat, demeurait définitivement acquise.
Le cousin Pons
Jamais assez victime du système, Éric Zemmour invoquait un préjudice moral personnel de 25 000 euros découlant de la médiatisation négative du conflit et des circonstances particulièrement abruptes de la rupture du contrat. Mais, la Cour a rejeté cette demande en estimant que ce préjudice personnel ne se distinguait pas suffisamment du préjudice moral déjà reconnu à la société Rubempré.
La Comédie humaine
Cet arrêt de la Cour d'appel de Paris met en lumière l'importance fondamentale de l’État de droit, de l’indépendance et de l’impartialité des juges, de la vertu de l’appel garantie notamment par la Convention européenne des droits de l’homme ; mais aussi du respect des principes de bonne foi et de loyauté dans l'exécution des contrats commerciaux (pour la politique, il faudra encore attendre…), spécialement dans le secteur de l'édition, où les délais et les conditions de remise des œuvres jouent un rôle crucial. Et, pour mémoire, l’exécution provisoire était de droit, tant en première instance qu’en appel, nonobstant un éventuel pourvoi en cassation. Comme pour toutes les affaires civiles dans un souci d’efficacité et de célérité de la Justice réclamée par les politiques. Manifestement surtout pour les autres.