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En librairie, l'horreur a du style

Dans l'édition, l'horreur a du style - Photo Olivier Dion

En librairie, l'horreur a du style

L'automne prochain, certains titres redoublent le trouble. La literary horror, l'horreur nouvelle tendance, réinvente le roman gothique avec des récits d'effroi servis par une écriture littéraire.

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Par Sean Rose
Créé le 17.06.2025 à 16h30

Le cosy mystery, on sait ce que c'est - des polars douillets où l'enquêtrice, le détective, tout amateur qu'il ou elle est, finit par résoudre l'affaire. S'il y a un corps, la violence et le sang restent hors champ, c'est excitant et rassurant à la fois. Un bonbon, fût-il poivré. Un bonbon quand même. En cette rentrée littéraire d'automne, on pourra goûter un tout autre genre de friandise : la literary horror, la fiction d'horreur littéraire. « Une tendance à venir », pressent la directrice générale de Fleuve éditions Julie Cartier, qui a constaté ces derniers temps chez les éditeurs et les agents anglo-saxons un revival de l'horreur.

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Aurélie Thiria-Meulemans, docteure en littérature anglaise et maîtresse de conférence à l'université de Picardie Jules-Verne- Photo OLIVIER DION

Tant et si bien que Fleuve crée en octobre prochain la collection « Styx », sous la houlette de l'auteur et traducteur spécialiste de fantastique et de science-fiction Laurent Queyssi. « Il y a eu la collection "Terreur" chez Pocket et le label "Thriller fantastique" chez Fleuve, qui a notamment accueilli en poche Anne Rice, Kôji Suzuki, Clive Barker ou encore Dean Koontz, poursuit l'éditrice rompue aux littératures de genre. Dans le groupe [Editis], il n'existait plus à proprement parler de collection d'horreur depuis près de vingt ans. Avec "Styx", l'horreur est de retour. »

Les deux titres inauguraux, La mer se rêve en ciel de John Hornor Jacobs et Vers ma fin de Sophie White, seront justement des romans d'horreur littéraire. « L'idée est d'aller chercher de jeunes lecteurs, 25-35 ans, pas forcément fans de littérature de genre, mais qui ont envie d'émotions fortes alliées à une certaine qualité littéraire, analyse Julie Cartier. C'est une génération ayant vu des films d'horreur qui peuvent rencontrer un succès à la fois populaire et critique, comme The Substance de Coralie Fargeat. »

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Laurent Queyssi- Photo DR

Le rayon horreur, achalandé en Stephen King et autres maîtres du genre, n'a rien de neuf, alors de quoi la literary horror qui se mêle volontiers aux ouvrages classés en littérature blanche est-elle le nom ? Deux autres titres de rentrée, L'étreinte des ombres de Susan Barker (Dalva, 2025) et Model home de Rivers Solomon (Aux forges de Vulcain, à paraître en septembre) illustrent ce courant.

Le premier relate une enquête sur une entité féminine qui envoûte et s'approprie les êtres qu'elle fréquente en s'immisçant dans leurs viscères, le second se déroule dans et autour d'une maison apparemment idéale en tout point, qui se révèle être le lieu de l'oppression. Susan Barker est britannique, de père anglais et de mère sino-malaisienne ; Rivers Solomon est non binaire et d'origine afro--américaine. Précisions biographiques loin d'être anecdotiques : nombre de plumes issues des minorités traduisent par le truchement de la fiction d'horreur une violence personnellement ou collectivement vécue.

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Fleur Hopkins-Loféron- Photo JULIEN LOFERON

Miroir monstrueux

« L'horreur littéraire a trait à l'identité propre du narrateur et au retour du refoulé », explique Aurélie Thiria-Meulemans, docteure en littérature anglaise et maîtresse de conférence à l'université de Picardie Jules-Verne. Si la quête du monstre nous fait tourner fébrilement les pages, ce qui rend terrifiants ces thrillers à l'inquiétante étrangeté est le miroir qu'ils tendent au protagoniste auquel on s'identifie.

La chercheuse spécialiste des littératures de l'imaginaire Fleur Hopkins-Loféron ajoute : « Par le biais du sous-genre de la female rage, littéralement "rage féminine", des écrivaines convoquent les figures fondatrices de Shirley Jackson et Joyce Carol Oates pour contester les violences de l'hétéropatriarcat. L'autrice de Voir l'invisible. Histoire du mouvement merveilleux scientifique (1909-1930) (Champ Vallon, 2023) cite comme exemples de l'horreur domestique Elle est revenue d'Ainslie Hogarth (10/18, 2025), « qui questionne le poids de la maternité à travers la présence monstrueuse d'une belle-mère toxique » et Les yeux sont un morceau de choix de Monika Kim (Robert Laffont « Pavillons », à paraître en octobre), « qui dénonce à coups de cannibalisme la fétichisation des femmes asiatiques par l'Occident ».

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Julie Cartier, directrice générale de Fleuve éditions.- Photo OLIVIER DION

Mais s'il est question d'épouvante, il s'agit avant tout d'écriture, en un mot : de style ! Aurélie Thiria-Meulemans rappelle la filiation littéraire de l'horreur et l'ancêtre du genre : le roman gothique. Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, les Lumières et la rationalité ont triomphé ; émerge alors une littérature aux intrigues macabres et aux décors lugubres. Le château d'Otrante d'Horace Walpole, paru en 1764, est considéré comme le premier roman gothique. S'ensuivront Le moine de Matthew Lewis (1796), Frankenstein de Mary Shelley (1818), les romans d'Ann Radcliffe, « qui préférera même le mot "terreur" à "horreur", parce que cette dernière, selon elle, doit pouvoir s'expliquer rationnellement... » 

La fiction gothique essaime outre-Atlantique à travers les contes d'Edgar Poe, ou avec Le papier peint jaune, nouvelle emblématique de Charlotte Perkins Gilman, redécouverte par les féministes américaines dans les années 1970. Aujourd'hui encore le gothique se réinvente en Amérique latine, grâce à des voix singulières comme l'Argentine Mariana Enríquez ou l'Équatorienne Natalia García Freire, traduites respectivement aux Éditions du sous-sol et chez Christian Bourgois. En Irlande, avec Sue Rainsford, autrice de Jours de sang (Aux forges de Vulcain, 2024), qui revisite le fantastique d'une plume à la fois poétique et horrifique.

Les auteurs de literary horror, hommes, ne sont pas en reste. Troquant la tronçonneuse contre la palette en camaïeu de bile noire, ils peignent des paysages aux accents lovecraftiens. Pour preuve, le roman susmentionné chez « Styx », La mer se rêve en ciel de John Hornor Jacobs, où se déploie une fascinante topographie cauchemardesque. Ainsi se déroule le récit au prisme d'une langue façonnée par nos peurs enfouies. « L'atmosphère joue un rôle essentiel, souligne Laurent Queyssi, directeur de la nouvelle collection à Fleuve, puisque, contrairement au polar où le détective répare le pacte social brisé par le crime, le trouble n'y trouve pas forcément de résolution. » Là gît l'angoisse. L'horreur littéraire est sans fin, et se goûte sans faim... Vous en reprendrez bien encore un peu ?

L'horreur qui vient

>> Susan Barker, L'étreinte des ombres (Dalva). Traduit de l'anglais par Valentine Leÿs, 528 p., 23,90 €, tirage : 3 500 ex., paru le 7 mai.

>> Rivers Solomon, Model home, Aux forges de Vulcain, traduit de l'anglais (États-Unis) par Francis Guévremont, 400 p. 22 €, tirage : 3 500 ex., à paraître en septembre.

>> Monika Kim, Les yeux sont un morceau de choix, Robert Laffont « Pavillons » traduit de l'anglais (États-Unis) par Nathalie Peronny, 300 p. env. prix provisoire 22 €,  tirage : 10 000 ex., à paraître en octobre.

>> John Hornor Jacobs, La mer se rêve en ciel, Fleuve « Styx », traduit de l'anglais (États-Unis) par Maxime Le Dain, 224 p. tirage : NC, à paraître en octobre.

>> Sophie White, Vers ma fin, Fleuve « Styx », traduit de l'anglais (Irlande) par Anne-Sylvie Homassel, 224 p. tirage : NC, à paraître en octobre.

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