Quand David Hockney s’est mis à peindre avec la palette digitale d’un iPad, certains grincheux y ont vu une trahison de la peinture. C’est sans doute confondre la fin et les moyens, mutatis mutandis considérer que la littérature est finie depuis qu’on ne tient plus littéralement une plume. Lao Shu, "Vieil arbre", est le pseudonyme d’un universitaire chinois professeur de l’Institut des médias et de la culture de Pékin, qui depuis 2011 poste quotidiennement via Weibo, le site Internet le plus visité de Chine, une peinture accompagnée d’un poème.
Cela n’en fait pas moins un peintre et un poète. Ou plutôt un peintre-poète - ces deux "disciplines" n’étant pas dissociées dans la conception classique chinoise de la peinture, car l’écriture fait partie intégrante du rouleau peint, qui s’insère dans le paysage. Ainsi voit-on dans ses posts poétiques l’alter ego de Lao Shu, le lettré traditionnel chinois, avec son chapeau de paille à large bord, sobrement vêtu, chez lui avec son chat, dans la solitude d’une nuit d’automne, devant des lotus ou buvant du thé. Les vers qui accompagnent le dessin délicat déclinent les motifs de la poésie des lettrés dont les canons ont été fixés sous la dynastie des Tang (VIIe-Xe siècle). Amitié, griserie sous la lune, impressions d’une vie fugitive : "Le thé se refroidit doucement,/ Le crépuscule est infini./Une journée s’évanouit,/
Demain, à nouveau, l’agitation…" Il nous montre son protagoniste sans visage comme un homme parmi la foule et aussi tel un vrai blogueur du XXIe siècle, dans des situations contemporaines : se faisant la cuisine ou fumant une cigarette.
Lao Shu est postmoderne et picore dans les époques : sa prédilection va au vers "plus dépouillé et spontané" de la poésie des Six Dynasties (IIIe-VIe siècle), comme le note son traducteur Jean-Claude Pastor, et au mandarin de la Chine impériale il préfère le lettré d’avant le communisme, celui de la première République de 1911, en contact avec l’Occident… Observant la modernité en marche avec détachement, à la fois dans le monde et à l’écart de son tumulte.
S. J. R.