Édition

Édition : profession DA

Le studio de création de Flammarion et J'ai lu. - Photo Olivier Dion

Édition : profession DA

Les directeurs artistiques de l'édition ont vu leur champ d'intervention s'accroître à mesure que la concurrence s'aiguisait sur les tables des libraires. Mais, en France, les garants du beau dans le livre ne sont pas toujours reconnus ni mis en lumière à la hauteur de leurs responsabilités. _ par Marine Durand

J’achète l’article 1.5 €

Par Marine Durand
Créé le 11.09.2019 à 18h47

Rémi Pépin a beau chercher, il ne voit pas de directeur artistique «star» dans l'édition aujourd'hui. « Je peux vous citer dix Anglo-Saxons, car des maisons comme Penguin Books valorisent énormément leurs graphistes, mais ce n'est pas le cas en France. D'ailleurs, il n'existe pas un seul prix célébrant les meilleures couvertures de livres, ce qui est assez significatif », relève le graphiste free-lance et directeur artistique de Sonatine et d'Inculte.Quelques grands noms ont bien ouvert la voie, à l'image de Cassandre, l'un des premiers à utiliser des images pour communiquer dans les années 1930, ou Robert Massin, à partir des années 1960. Mais le directeur artistique, responsable de l'identité graphique d'une maison, à la barre aussi bien des couvertures et de la maquette des titres du fonds et des nouveautés que du design du site web, du programme de rentrée ou des outils de communication en librairie, reste pourtant un homme ou une femme de l'ombre. 

Une définition floue

Contrairement au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, où il existe une vraie culture de l'image, ancienne et ancrée, de l'avis de plusieurs professionnels rencontrés pour cet article, la notion de directeur artistique est en France relativement récente. L'expression elle-même recouvre à la fois le métier de DA, qui est celui de tout diplômé d'une école de graphisme, et le poste de DA, qui est loin d'être systématiquement intégré dans les maisons d'édition. Avec 100 nouveautés par an, La Découverte s'appuie à l'année sur l'expertise de sa chef de fabrication, Caroline Robert. « Nous avons des collections très chartées, comme le poche ou "Repères", et pour les "Cahiers libres", le graphisme de chaque titre est confié à un free-lance », explique cette dernière. Pour la rentrée, la maison dirigée par Stéphanie Chevrier a en revanche fait appel à la graphiste Valérie Gautier pour revoir l'ensemble de ses lignes graphiques, et renforcer son identité visuelle. « Ensuite, nous reprenons la main avec les trois personnes de mon service, qui officient aussi comme assistantes d'édition », précise Caroline Robert. Aux éditions de la Réunion des musées nationaux (RMN-GP), « le suivi de nos 80 parutions par an serait trop compliqué pour une seule personne », remarque la directrice, Sophie Laporte. Le travail singulier apporté aux projets éditoriaux qui entourent les expositions favorise le recours à « une large palette de graphistes indépendants, des très expérimentés comme des jeunes talents ».

Même si la dénomination n'est pas utilisée dans les conventions collectives de l'édition, François Durkheim, à la tête de l'un des plus gros services graphiques du milieu, conçoit volontiers sa fonction comme celle d'un « directeur de création, qui accompagne ses équipes et les pousse à explorer des chemins inattendus ». Avec 14 collaborateurs, il supervise près de 1 600 couvertures par an pour Flammarion et ses maisons. Chez Actes Sud, où l'on vise surtout « la correspondance entre l'image pleine page et le texte », c'est la chef de studio Silvia -Alterio qui assume la cohérence des productions. Comme chez Eyrolles, où Nicolas Wiel dirige un service de quatre personnes. Ce chef de studio se présente régulièrement comme directeur artistique, « un terme bien plus compréhensible, notamment pour les auteurs ». Quintin Leeds, directeur artistique des revues XXI et 6 Mois (anciennement intégrées au Groupe du 27), et qui passe au moins un tiers de son temps comme graphiste sur les couvertures de L'Iconoclaste, ne fait lui-même « pas vraiment de distinction » entre les deux -appellations.

La question se pose encore différemment dans la bande dessinée, observe Charlotte Moundlic, directrice artistique de Rue de Sèvres, 40 nouveautés par an. « Je travaille avec une équipe volontairement restreinte de quatre graphistes indépendants fidèles, qui s'occupent du montage des pages, du travail sur les couvertures adultes et parfois de la conception graphique, explique-t-elle. Mais en BD, c'est surtout l'univers de -l'illustrateur qui prime. »

Dimension marketing

Quelle que soit l'organisation choisie dans les maisons, la plupart des professionnels de l'image interrogés s'accordent sur l'esprit de leur mission : artisan plus qu'artiste, au service d'un livre et d'un auteur, en lien permanent avec l'ensemble des services. « Ma porte est grande ouverte », résume d'une image Nicolas Wiel, qui a pris l'habitude d'assumer les projets à gros enjeux, pour permettre à ses collaborateurs « d'oser davantage, et de sortir de leur zone de confort ». Il y a encore cinq ans, Eyrolles n'avait pas de studio graphique intégré. Sa création résulte autant de l'essor de la maison que de l'importance croissante accordée aux couvertures, vrai levier d'achat en librairie.

« Aujourd'hui, on fait très attention aux couvertures, mais longtemps les éditeurs ont fait ça tout seuls, sur un coin de table », rappelle Rémi Pépin. Pour celui qui s'est occupé pendant six ans des romans de Guillaume Musso, au moment où « le livre est en perte de vitesse, il faut plus que jamais soigner la fabrication, pour garder une plus-value dans l'objet livre ». « Une couverture ratée revient à se tirer une balle dans le pied », assène sans ménagement Caroline Robert, à La Découverte. Aussi, même si les services marketing et commerciaux de l'édition ont toujours été associés à la conception graphique des livres, les éditeurs n'hésitent plus à remanier un projet quand les représentants rapportent des réactions mitigées de leurs tournées. Pour François Lamidon, graphiste indépendant venu de la publicité et passé par Flammarion puis Eyrolles, « il y a aujourd'hui une dimension marketing très forte dans le livre, qui n'existait pas lorsque j'ai démarré ». Chez Rue de Sèvres, petite maison adossée à la « machine de guerre L'Ecole des loisirs », Charlotte Moundlic fait le même constat, tout en s'estimant chanceuse de pouvoir garder le dernier mot.

Une plus grande liberté

Avec le règne de l'image et la démocratisation d'outils comme Instagram, les auteurs aussi sont devenus bien plus exigeants, analyse de son côté Nicolas Wiel. « Les imprimeurs se mettent d'ailleurs au diapason et offrent de plus en plus de possibilités de fabrication », observe-t-il. Sollicités par François Durkheim, les concepteurs graphiques, graphistes et responsables artistiques de Flammarion sont unanimes : « Il y a plus de liberté dans le graphisme aujourd'hui qu'à une certaine époque, où il fallait absolument que l'on puisse identifier la maison au premier coup d'œil. »

Les petites maisons indépendantes sont souvent particulièrement innovantes. L'audace de Marchialy, de L'Echappée ou de Monsieur Toussaint Louverture est souvent citée en exemple par les DA. Mais les grandes maisons aux chartes plus cadrées se lâchent aussi. En septembre 2018, le Seuil a réédité le roman culte de John Irving, Le monde selon Garp, avec sa couverture d'origine, tout en typographie rétro. Impensable il y a encore cinq ans.

Pour beaucoup, cependant, les livres tricolores souffrent encore de la comparaison avec ceux des maisons anglaises et américaines en termes de créativité. « Ce n'est pas le même marché, nuance Quintin Leeds, qui peut faire jusqu'à trente propositions de couverture pour un ouvrage en période de rentrée littéraire. Juste pour une question d'échelle, ils peuvent se permettre de passer davantage de temps sur chaque titre. » De son côté, David Pearson, graphiste anglais particulièrement remarqué pour son travail avec Penguin Books, y voit surtout une différence d'approche globale du livre. « En France, estime-t-il, les librairies attirent les lecteurs, tandis qu'en Grande-Bretagne, elles attirent le consommateur. Cela donne aux graphistes britanniques une plus grande marge de manœuvre pour manipuler le public à l'aide de quelques astuces de conception bien senties. » 

Millénium 1

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Les bases d'« Actes noirs »Cadre rouge sur fond noir, illustration en médaillon « pour le mystère et l'élégance »... En 2006, c'est avec le premier tome de Millénium de Stieg Larsson qu'Actes Sud inaugure sa collection de polars « Actes noirs ». Le Suédois est encore inconnu, mais la petite fille aux allures de Mercredi Addams sur la couverture marque les esprits. « Elle est l'œuvre de l'illustratrice Isabel Samaras. Nous voulions une maquette classique, qui rende hommage à l'histoire des polars, mais qui se démarque à la fois des photos utilisées traditionnellement », décrypte la chef du studio graphique de la maison, Silvia Alterio. A partir du tome 2 et pour les titres suivants de la série, c'est l'illustrateur américain John John Jesse, adepte du pop-surréalisme et aussi rock que le personnage principal, Lisbeth Salander, qui signera les couvertures.

Tout est sous contrôle

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Le pari du blanc Janvier 2009, petite révolution dans le monde du polar. Treize ans après sa parution en anglais chez Heinemann, Sonatine publie Tout est sous contrôle, le premier roman de l'acteur Hugh Laurie, interprète de Gregory House dans la série télévisée Dr House. Sur la couverture, un revolver à la crosse retournée trône au centre d'une page entièrement blanche. Bien loin des codes noir, jaune et rouge sang qui font alors foi dans cet univers. « Le brief disait qu'il s'agissait d'un roman à suspense humoristique, et que je pouvais me faire plaisir. Mais concernant le fond, c'est surtout que je n'avais pas le temps de détourer l'image, qui se trouvait sur un fond blanc », raconte Rémi Pépin, qui se souvient du « scandale » qu'a suscité sa création chez les représentants. Le livre entre dans les meilleures ventes dès sa sortie et autorise dès lors l'usage du blanc dans le domaine noir. Rémi Pépin lui-même en fera à nouveau usage quelques mois plus tard pour la couverture des Visages de Jesse Kellerman.

La vie rêvée des plantes

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

La magie PearsonRares sont les couvertures de livres aussi identifiables que celles, colorées et graphiques, de Zulma. « Laure Leroy m'a contacté en juin 2006, après avoir vu mon travail sur la ligne "Great Ideas" de Penguin. Le brief de départ était très ouvert », se souvient le designer graphique David Pearson. Quelques semaines plus tard, les deux premiers titres de littérature habillés par le Britannique, La vie rêvée des plantes de Lee Seung-U et Comment va la douleur ? de Pascal Garnier, paraissent pour la rentrée. Le relooking a eu « un impact colossal », pour l'image de la maison et sur les ventes, remarque la directrice de Zulma. David Pearson souligne, lui, « l'excellent travail de briefing » de la coordinatrice éditoriale Béatrice Pô pour le non-francophone qu'il est : « Ce processus est merveilleux, nous nous sentons collectivement responsables du résultat, c'est pour cela que la relation de travail est si durable. »

Ta deuxième vie...

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Un territoire d'auteurAvec Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une de Raphaëlle Giordano, Eyrolles se lance en 2015 dans le roman de développement personnel. L'éditeur décide d'emblée de se « démarquer des concurrents, et d'imposer visuellement un territoire d'auteur », explique François Lamidon, alors chef du studio graphique. Couleurs flashy, esthétique onirique, détails faciles à réutiliser pour la promotion, « comme les petits avions en papier », la couverture se base sur une image Shutterstock retravaillée. Testée en interne, elle convainc immédiatement les équipes, et participera au succès phénoménal du titre. Les deux romans suivants de l'auteure, Le jour où les lions mangeront de la salade verte (Eyrolles, 2017) et Cupidon a des ailes en carton (Plon, 2019), reprennent d'ailleurs le personnage féminin en jupe et les nombreux éléments répartis sur la couverture.

Trois questions à Julia Hasting : « Une conception inattendue fera plus vendre qu'un livre sage »

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Directrice créative de Phaidon, l'Allemande Julia Hasting supervise depuis Zurich, en Suisse, l'ensemble des productions de la maison londonienne de livres d'art. Reconnue depuis vingt ans pour ses livres objets innovants, elle plaide pour plus d'audace dans la conception.

Considérez-vous, comme plusieurs directeurs artistiques français, qu'il y a plus de créativité au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ?

Je ne pense pas que ce soit une question de nationalité ou de frontières, mais davantage d'éditeurs et de cultures de travail. Même si je n'ai pas collaboré directement avec des éditeurs français, j'ai travaillé avec d'excellents designers français, notamment Xavier Barral. Il me semble que de nombreuses maisons chez vous ont tendance à être plutôt traditionnelles et conservatrices, mais plus qu'une question de design, c'est un problème de marketing. J'encourage toujours les éditeurs à faire preuve de plus de courage et d'audace. Une conception intelligente et inattendue fera toujours plus vendre que quelque chose de trop sage. Ainsi, la façon dont nos livres de recettes et monographies de chefs ont transformé le livre de cuisine sert cette industrie.

Quelles sont vos créations les plus emblématiques ?

Il y a eu Sample, avec sa couverture plissée donnant un effet 3D, Unmonumental, à la typographie volontairement aléatoire, et bien sûr Cream : contemporary art in culture, l'une de mes premières missions pour Phaidon. C'était un nouveau type de publication, une biennale artistique en forme de livre, avec une couverture souple emballée dans un sac sous vide et aussi dure que le bois. Dès sa sortie de l'emballage, le livre devenait souple. La notion de surprise m'intéressait beaucoup à l'époque.

Comment décririez-vous votre méthode de travail ?

Mon souci principal est de trouver le bon mariage entre la conception et le contenu. J'essaie d'expérimenter autant que possible des matériaux inhabituels, et de faire en sorte que les livres fabriqués en série ressemblent à des éditions limitées. C'est un vrai défi de maintenir ces objectifs ambitieux et de concrétiser les concepts soumis tout en respectant les budgets. Je m'appuie sur la coopération de tous les départements de Phaidon.

Les dernières
actualités