Sa démarche a été suivie par de nombreux autres auteurs de polars. Dans les médias étrangers ou ailleurs, ils ont été les portes-voix de la société américaine. Leur prise de parole comme leurs romans se sont inspirés de l'actualité. C'est le cas de Douglas Kennedy dont la présidence Trump a influencé son prochain roman à paraître chez Belfond en mai 2022. "En tant qu'écrivain américain, l'état du corps politique s'insinue toujours dans ma fiction", confie l'écrivain à Livres Hebdo.
Une image de la société américaine
Quand il a commencé à lire des auteurs de polars tels que Raymond Chandler, Elmore Leonard ou encore George Simenon, Douglas Kennedy réalise qu'au centre de tous les récits se trouve une critique sociale et une représentation de l'état de la société. "Un polar traite des recoins les plus sombres de la condition humaine - et de la fragilité de la frontière entre le bien et le mal. Alors oui, j'ai apporté cet élément “état de la société” à la plupart de mes fictions - qu'il s'agisse de polars ou non", estime-t-il.
Cette représentation de la société est parfois le fruit d'un long travail d'enquête. Dans sa trilogie The Border, Don Winslow s'attaque aux cartels de drogue à la frontière américaine. Il fait le récit d'Art Keller, agent de la DEA (Drug Enforcement Agency), qui est chargé de mettre un terme au trafic de drogue et d'armes. Un personnage désigné sous le nom de John Dennison s'inspire directement de Donald Trump. L'auteur a mis presque six ans pour écrire son texte, dont trois années consacrées à la recherche. "Je devais m'assurer que je restais proche des événements réels", explique-t-il.
Une mécanique adaptée à toutes ses oeuvres. Dans son dernier ouvrage, paru le 7 octobre 2020, Le Prix de la Vengeance, traduit de l'anglais par Isabelle Maillet (Harper Collins) il écrit six nouvelles mettant en scène des trafiquants, des policiers obsessionnels ou des détectives privés qui évoluent dans l'envers du rêve américain. "Si, après tout cela, je n'écrivais que des romans et ne faisais rien d'autre, j'ai peur d'être un voyeur, profitant de la souffrance des autres", glisse-t-il.
Roman noir, "la littérature de l’opprimé"
"Je suis un écrivain qui aime se débattre avec la façon dont nous vivions à l'époque, la façon dont nous vivons aujourd'hui... et la façon dont nous sommes toujours dans l'ombre de forces plus importantes dans le domaine géopolitique", ajoute Douglas Kennedy. Dans son roman La Poursuite du bonheur traduit par Bernard Cohen, (Belfond), il fait le récit d'une femme indépendante tentant de se construire son indépendance dans un New York d'après-guerre où les femmes devaient plutôt devenir des épouses et des mères.
De son côté, Don Winslow affirme que "le roman noir a toujours été la littérature de l'opprimé". Un avis partagé par Benoît Tadié, maître de conférence et auteur de Le polar américain : la modernité et le mal (1920-1960), paru en 2006 aux PUF. Dans cet ouvrage, l'enseignant fait l'étude des formes et de l'évolution du polar pendant son âge d'or, ainsi qu'une réflexion sur sa portée esthétique et idéologique. "Le polar est une forme d’expression qui permet aux classes populaires de s’exprimer tout en démocratisant la culture", estime-il, rappellant que le genre littéraire avait longtemps été exclu du monde des belles lettres. Il voit ses origines dans des romans-feuilletons publiés dans les journaux. "Il y a à l’origine une aspiration démocratique, le polar reflète et incarne un mouvement démocratique."
Aujourd’hui, Don Winslow poursuit son activisme, malgré la victoire du candidat démocrate Joe Biden que l'écrivain qualifie de “début de la fin d'une Amérique brisée”. Depuis la prise d’assaut du Capitole à Washington, le 6 janvier dernier, il se bat sur Twitter en compagnie de son agent Shane Salerno pour que les émeutiers soient retrouvés.
"Suis-je “militant” ? Je ne le pense pas. Est-ce militant de penser que les enfants ne devraient pas être jetés dans des cages ? Est-ce militant de penser que chaque citoyen adulte devrait avoir le droit de vote ? Est-ce militant de penser que les flics ne devraient pas assassiner des hommes noirs ? Est-ce militant de penser que la démocratie vaut la peine de se battre contre un dictateur raciste et fasciste en puissance ?", conclut Don Winslow, estimant finalement que son rôle était, avant tout, d'écrire de bonnes histoires.