C'est nouveau : les bibliothèques doivent désormais savoir se vendre. A l'heure où leur modèle traditionnel vacille sous l'impact d'Internet et où leur fréquentation s'érode, il leur faut s'ouvrir vers l'extérieur et trouver les mots pour convaincre leurs publics comme leurs élus de leur raison d'être. Jusqu'ici pourtant, la communication n'a pas été leur préoccupation majeure. La plupart ne sont pas rodées à l'exercice et manquent de moyens, se contentant souvent de fournir des "Guides du lecteur" et des sélections bibliographiques. Pour toutes ces raisons, l'Association des bibliothèques de France a fait de la communication le thème central de son congrès annuel.
Depuis deux ou trois ans, on voit se dessiner de belles initiatives et une prise de conscience par les élus de la nécessité de mettre en valeur leurs beaux (et onéreux) établissements. Mais il est difficile de comparer de grands établissements dotés d'un service de communication et une petite bibliothèque où l'équipe se débrouille avec les moyens du bord. Le plus souvent, la bibliothèque s'affiche à travers de grandes campagnes institutionnelles à l'échelle d'une ville (en attendant une campagne nationale que certains demandent depuis longtemps...). Ces campagnes sont en général conçues pour casser l'image traditionnelle de la bibliothèque, "livresque" et intimidante. Lyon a été une des premières villes, il y a huit ans, à se lancer avec une campagne d'affichage représentant une énorme grenouille verte avec une couronne d'or sur la tête, illustrant le thème bien connu du prince transformé en crapaud, avec le slogan : "L'imaginaire n'est pas réservé aux enfants". L'idée était d'étonner et de suggérer aux Lyonnais qu'ils auraient bien des surprises s'ils se rendaient à la bibliothèque. Cette campagne avait été entièrement réalisée par le service de communication de la ville, ce qui n'est pas courant. La plupart du temps, c'est une collaboration entre la ville et la bibliothèque - pas toujours facile d'ailleurs, il paraît que les communicants ne savent pas très bien par quel bout prendre ces "drôles d'établissements"... -, comme la campagne réalisée à Limoges en 2006 pour les dix ans de la Bibliothèque francophone multimédia (BFM) : cette fois, c'était moins pour casser une image traditionnelle que pour rappeler les valeurs que défendait ce lieu de citoyenneté. Sur les affiches, des lecteurs étaient mis en situation avec la devise "Liberté, gratuité, fraternité"... "Nous n'avions pas à rattraper une image, car la BFM a acquis très vite sa place et sa légitimité", dit son directeur Daniel Legoff. Aujourd'hui, il rêve d'organiser une nouvelle campagne autour de l'affirmation : "La bibliothèque, un autre moteur de recherche". Le nouveau catalogue en ligne de la BFM renvoie effectivement pour chaque document et d'un simple clic à plusieurs sites de recherche - Google Livres, Gallica, Wikipédia, etc.
A Toulouse, en 2010, c'est l'équipe de communication de la bibliothèque, dirigée par Manuella Gantet, qui a conçu en interne une campagne très remarquée elle aussi, dont la maxime était : "La bibliothèque de Toulouse, des rencontres à faire". Et cette fois, ce sont les bibliothécaires eux-mêmes qui posaient pour la photo : Muriel aux côtés d'Amélie Nothomb, Pierre-Jean près de Marilyn Monroe, Christophe près de Nougaro, etc. Plus récemment, le service a réalisé un film promotionnel sur les thèmes "J'apprends, je lézarde, je découvre, je joue, je fais des rencontres...", et a développé une application pour les téléphones portables et iPhone afin que tout un chacun puisse se renseigner sur les différents services de la médiathèque ou consulter son compte. Enfin, en avril dernier, la commune de Villeurbanne a fait sensation avec sa campagne de communication annonçant des tarifs en baisse, davantage de services, de nombreux rendez-vous culturels, des ateliers de littérature, des expositions... Le tout porté par une campagne d'affiches très branchées, avec la formule tapageuse : "195 000 livres pour 10 euros, vous avez vu ça ailleurs ?".
Il arrive aussi que des petites villes prennent des initiatives avec peu de moyens : tout récemment, le maire de Laxou (Meurthe-et-Moselle) n'a pas hésité à faire un peu de provocation en exposant dans sa ville une affiche réalisée par des étudiants en licence de communication en IUT et représentant un garçon et une fille entre deux rayonnages avec le message : "Il n'y a pas que les livres dans la vie !" Ces campagnes font des émules : on sait que plusieurs villes s'apprêtent à en faire autant dans les mois prochains, comme Angers, ou encore une fois Toulouse à l'occasion de l'ouverture de la médiathèque Grand M en janvier 2012 dans le quartier du Mirail.
TRÉSORS D'IMAGINATION
A côté de ces rares campagnes d'image, de nombreuses bibliothèques déploient en permanence des trésors d'imagination pour vanter leurs services et leur action culturelle à travers un éventail d'affichettes, de brochures, de flyers... Cela va des dépliants au graphisme très étudié de la médiathèque de Saint-Herblain, près de Nantes, au journal bourré d'informations de l'innovante agglomération Plaine Commune, en passant par la petite revue Rn'Bi à Rouen, l'imposant Topo de Lyon ou le magazine d'informations de la BPI. Sans oublier le tout dernier sorti des médiathèques de Metz : l'impertinent Barouf de Miss Média, tiré à 50 000 exemplaires. Un journal qui reprend l'avatar Miss Média - ce petit personnage créé il y a deux ans pour briser l'image encore persistante de la bibliothécaire à lunettes et portant le chignon -, et qui a acquis depuis une notoriété non négligeable dans le milieu, aussi bien sur le territoire messin que sur les réseaux sociaux du Web.
Car cette promotion pour les services de la bibliothèque et les manifestations culturelles de plus en plus nombreuses commencent à se décliner sur la Toile. "Si la bibliothèque doit être là où sont ses usagers, remarque Lionel Dujol, responsable de la médiation numérique à la médiathèque de Romans-sur-Isère, elle ne peut se passer de Facebook qui, s'il était un territoire, serait le troisième pays le plus peuplé du monde..." Mais le plus souvent, les bibliothèques se servent des réseaux sociaux - principalement Facebook et Twitter - pour défendre l'image de l'institution et donner des informations pratiques. Alors qu'il faudrait exploiter davantage les communautés d'intérêt et faire réagir un public qui va bien au-delà des usagers de la bibliothèque. La bibliothèque de Limoges, par exemple, est présente sur Facebook par une page L'eMusic box, sorte de juke-box virtuel qui propose d'écouter des musiciens de la région du Limousin et de suivre l'actualité des concerts. "La bibliothèque se positionne alors comme un animateur de la scène locale", remarque Lionel Dujol, qui explique qu'à Romans le numérique ne se substitue pas pour autant au papier, mais qu'au contraire "ce qui existe dans le numérique est aussi dans nos murs". Ainsi, lorsque Ariane, sa collègue fan de polars, crée une page Facebook avec sa sélection de livres, elle répercute aussi les informations sur des brochures papier à disposition des lecteurs, et en extrait des "étiquettes" qui sont collées sur les livres concernés avec sa signature. "Tous les livres étiquetés sont les premiers à sortir, constate Lionel Dujol, nous sommes les journalistes de nos collections."
SENSIBILISER LES CITOYENS
Il ne faut pas oublier pour autant la partie immergée de l'iceberg. Sous les affiches se fait souvent un travail en profondeur sur plusieurs années auprès des habitants, moins visible et peu médiatique mais qui sous-tend tout le travail de communication d'une bibliothèque. Les municipalités sont de plus en plus nombreuses à sensibiliser les citoyens longtemps avant l'ouverture de la médiathèque, à faire des sondages, organiser des portes ouvertes avant l'ouverture officielle, etc. A Hyères, quatre ans avant l'ouverture de la médiathèque en 2005, la responsable de la communication et de l'action culturelle, Annie Lombard, a lancé une campagne "J moins...", incitant les écoliers à imaginer leur futur établissement, contactant les journalistes, faisant miroiter le futur établissement aux habitants... Et comme le chantier avait du retard, elle a même imaginé l'organisation d'un "J zéro" lors de la livraison du bâtiment de manière à "tenir la population en haleine". Résultat : "Au lieu des 300 personnes attendues par le maire lors de l'inauguration, il y en a eu 3 000", se souvient-elle. A Metz, c'est la nouvelle politique tarifaire (les tarifs messins adoptés en 2004 étaient parmi les plus chers de France) qui a été la première étape de reconquête des publics avec la mise en place d'une nouvelle stratégie de communication et la création de l'avatar Miss Média. "Non seulement nous travaillons à faire de la communication au sens habituel du terme, explique le directeur des médiathèques, André-Pierre Syren, mais encore à développer une stratégie globale sur le long terme fondée notamment sur la diffusion des contenus que possèdent les médiathèques."
LE PROGRAMME DU CONGRÈS
Du 23 au 26 juin, l'Association des bibliothécaires de France (ABF) attend près de 700 participants à son congrès annuel, au Lille Grand Palais. Au sein des 7 ateliers et des 6 sessions plénières seront abordées les principales questions qui concernent la communication dans les bibliothèques : quels sont les enjeux d'une bonne communication, comment toucher son public en temps de crise et cibler les non-usagers, quelle stratégie adopter vis-à-vis des journalistes et quels sont les supports de communication adaptés aux bibliothèques, comment s'immiscer dans les réseaux sociaux du Web et valoriser son image ? etc. Les intervenants et modérateurs des débats viennent de différents horizons : responsables de communication, formateurs, journalistes, élus locaux, responsables culturels...
Le jeudi, Catherine Cullen, adjointe au maire de Lille et déléguée à la culture, accueillera les congressistes. La conférence inaugurale sera assurée par l'anthropologue Olivier Badot, suivie par l'ouverture du salon professionnel, qui réunit 70 exposants, partenaires et entreprises spécialisées dans les services et les offres pour bibliothèques et centres de documentation (entrée libre sur inscription). Le vendredi après-midi aura lieu une rencontre organisée par la Communauté française de Belgique - proximité géographique oblige - sur "L'intégration des bibliothèques au tissu social et culturel des territoires belges".
Les événements du congrès seront relayés par une équipe de reporters et retransmis en direct sur Libfly.com et les sites partenaires.
Pendant toute la durée du salon, les congressistes pourront voir l'exposition "Pour adultes seulement : quand les illustrateurs de jeunesse dessinent pour les grands", censurée par le conseil général de la Somme en 2010, et participer aux rencontres littéraires avec Franck Thilliez, auteur originaire du Pas-de-Calais (La chambre des morts, 2007, Pocket) et Hervé Tullet, lauréat du prix Sorcières 2011 pour Un livre (Bayard Jeunesse).
De plus en plus pros
A l'exception de vrais services organisés dans les grands réseaux de lecture publique, les professionnels de la communication sont encore rares en bibliothèque. Mais de plus en plus de bibliothécaires, conscients de la nécessité de valoriser les initiatives de leurs établissements, prennent en charge l'action culturelle et la communication.
Pour près de 5 000 bibliothèques françaises, on compte seulement quelques dizaines de responsables de la communication. La plupart du temps, c'est le directeur, ou un membre de l'équipe ayant du goût pour la programmation culturelle et la relation avec les publics, qui se charge, avec les moyens du bord, de mettre en valeur les services et les animations de son établissement auprès du public. C'est le cas de Christine Tharel-Douspis à la bibliothèque municipale d'Angers, qui fait partie de l'équipe depuis 1990 et qui avait déjà pris un certain nombre d'initiatives dans le domaine de l'animation auparavant. Lorsqu'une possibilité de promotion s'est offerte, elle a postulé. Un travail de collaboration avec le service de la communication de la ville a ainsi pu s'établir, et plusieurs projets de campagnes de promotion et de valorisation de l'action culturelle sont en cours, tandis que les rapports avec la presse régionale commencent à porter leurs fruits. Mais, comme beaucoup de ses collègues, elle déplore qu'il n'existe pas davantage de formations qui permettent d'apprendre les rudiments du métier, ne serait-ce que pour mieux dialoguer avec les services de la ville ou s'adresser aux journalistes.
C'est aussi soutenue par le volontarisme de sa directrice, Karine Jay, qu'Anne Coquet-Lamotte, arrivée il y a cinq ans dans le réseau de Boulogne-sur-Mer, a été chargée d'une mission transversale de l'action culturelle et de la communication tout en travaillant comme directrice d'une bibliothèque de quartier. "Nous avions conscience que nous étions loin de notre potentiel d'accueil, il a fallu redynamiser complètement l'image de la bibliothèque dans la ville", explique-t-elle. Comme dans la plupart des villes petites et moyennes, les événements importants (quand il y en a...) sont financés et réalisés par le service de communication de la ville mais "nous essayons de nous débrouiller le plus possible avec nos moyens - 6 000 euros par an - pour assurer les promotions de nos activités". Un petit budget, mais qui n'empêche pas Anne Coquet-Lamotte de prendre des initiatives originales, comme cette énorme tour de Babel de livres, réalisée par les lecteurs à l'entrée de la bibliothèque des Annonciades, ou cette "biblio-braderie" de plusieurs milliers de livres provenant du désherbage et vendus entre 50 centimes et 2 euros au profit de Bibliothèques sans frontières.
FORMATION SPÉCIFIQUE
A Metz, Marie-Paule Doncque, bibliothécaire passionnée par son travail de programmation culturelle et de communication aux côtés du directeur André-Pierre Syren, a pu bénéficier d'une formation spécifique en communication. Car il y avait là aussi un énorme travail à faire pour reconstruire l'image du réseau. "Au début, les bibliothèques n'avaient aucun rayonnement dans le tissu messin, dit-elle, personne ne rebondissait à nos initiatives. Il a fallu frapper un grand coup, élaborer un plan d'action, inventer grâce à notre dessinateur de presse André Faber le personnage de Miss Média pour communiquer "autrement" sur le monde des bibliothèques."
Il est plus rare, du moins dans les villes de taille moyenne, de trouver des responsables de communication et d'action culturelle qui ne viennent pas du sérail des bibliothèques. Annie Lombard, qui travaillait auparavant dans le privé, fait un peu figure d'exception. Recrutée en 2001 par la directrice de la médiathèque de Hyères (56 000 habitants), Nathalie Erny, elle a dû créer un service ex nihilo avant même la création de la médiathèque en 2005. "Cela n'a pas été facile de convaincre mes collègues au départ, j'avais l'impression de parler une autre langue, se souvient-elle, je les entendais souvent objecter : "Ah oui, mais Annie c'est pas une bibliothécaire !" Je trouvais qu'ils organisaient des choses extraordinaires et m'étonnais qu'ils ne voient pas la nécessité de les mettre en valeur." Une constatation que même les chargées de communication-bibliothécaires font aussi, tout en notant que les attitudes évoluent vite. Aujourd'hui, ce sont plutôt les demandes de formation à la communication qui arrivent de toutes parts. Annie Lombard le constate de plus en plus, elle qui assure des cours dans différents organismes de formation.
Non seulement les bibliothécaires oublient vite leur réticence vis-à-vis du marketing et de la communication, mais ils en mesurent l'efficacité et en redemandent ! C'est ce que vivent les services de communication plus organisés dans les grands établissements. A Lyon, Geneviève Chovet, qui elle aussi est arrivée du privé, chapeaute un pôle de quatre personnes depuis dix ans, et travaille pour les quinze bibliothèques du réseau. "Au début, beaucoup estimaient qu'on dépensait de l'argent et qu'on ne servait pas à grand-chose, les bibliothécaires vivaient bien comme ça, elles avaient leur légitimité. Aujourd'hui la question de la communication ne se pose plus, nous sommes sollicités sans arrêt et les bibliothécaires sont tout déçus si on ne fait pas du tapage autour de leurs initiatives." Même son de cloche à Grenoble où Cécile Bagieu, ancienne journaliste, travaille en binôme avec sa collègue chargée de l'action culturelle. Elle aussi est de plus en plus sollicitée. "On fonctionne un peu comme un service de ressources, remarque-t-elle, les bibliothécaires foisonnent d'idées, nous les soumettent et nous demandent notre participation. C'est formidable mais pas toujours facile à assurer..." Pour mieux organiser les choses, Cécile Bagieu a dû mettre en place un circuit des informations, demandant aux bibliothécaires de fournir des fiches et quelques lignes synthétiques sur le contenu et les objectifs de leurs actions. "Je me demande, conclut-elle, s'il ne faudrait pas proposer aux chefs de projets des petites sessions de formation à la communication."
MANUEL POUR APPRENTIS COMMUNICANTS
Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes, c'est le titre d'un livre paru en février dernier dans la collection "La boîte à outils" des Presses de l'Enssib. Une bonne initiative de l'école des conservateurs qui devrait d'ailleurs songer à proposer une formation sur le sujet à ses élèves. L'ouvrage, dirigé par Jean-Philippe Accart, directeur des bibliothèques de la faculté des sciences de Genève, est consacré à la communication des bibliothécaires à destination des décideurs et des journalistes et non pas à destination des publics : Comment instaurer un dialogue avec un élu municipal ou convaincre son président d'université ? Quelles sont les méthodes des journalistes et quel langage leur parler ? Comment utiliser à bon escient les méthodes de lobbying et de marketing, etc. Une quinzaine d'auteurs - chercheurs en sciences de l'information, responsables de communication, bibliothécaires, sociologues... - expliquent les rudiments de la communication, font part de leur expérience, donnent des conseils et des outils à l'aide d'exemples et de mises en situation. Un ouvrage clair et sans tabou qui donne des pistes précieuses aux apprentis communicants à condition qu'ils adaptent les conseils donnés, parfois un peu simplistes, au contexte spécifique dans lequel ils se trouvent.
Communiquer ! Les bibliothécaires, les décideurs et les journalistes, sous la direction de Jean-Philippe Accart, Presses de l'Enssib, 176 pages, 22 euros.)
COUP DE PROJECTEUR SUR LES BIBLIOTHÈQUES
Pour la deuxième année consécutive, Livres Hebdo décernera son grand prix des Bibliothèques dans quatre catégories : Innovation, Accueil, Espace intérieur et Animation. Avec ce prix, notre magazine entend soutenir le travail des bibliothécaires et donner un grand coup de projecteur sur un réseau de lecture publique dont les initiatives foisonnent mais manquent de visibilité médiatique. L'année dernière, cinq établissements de tailles diverses - les médiathèques de Béziers (34), de Signy-l'Abbaye (08), d'Agneaux (50), d'Anzin (59) et la BDP de Seine-Maritime (76) - ont été couronnés, et leurs équipes sont venues recevoir leur prix et rencontrer le jury à la bibliothèque Mazarine à Paris.
Cette année, le grand prix des Bibliothèques, toujours en partenariat avec 3M et Dubich, est présidé par Zep, le père de Titeuf, l'album BD le plus prêté en bibliothèque. Son jury comprend également Evelyne Didier, directrice de la médiathèque de Béziers, Patrick Bazin, directeur de la BPI, Sergio Dogliani, directeur général d'Idea Stores à Londres, Françoise Nyssen, P-DG d'Actes Sud, Colette Kerber, responsable de la librairie Les Cahiers de Colette, Claude Poissenot, sociologue, Laurence Santantonios et Christine Ferrand (Livres Hebdo). Toutes les bibliothèques sont concernées, y compris les établissements universitaires. Si vous souhaitez concourir, n'attendez pas le 30 septembre, date limite pour envoyer vos dossiers. Les prix seront décernés le jeudi 1er décembre à la bibliothèque de l'Hôtel de Ville de Paris. En attendant, rendez-vous au congrès de l'ABF pour le lancement de cette nouvelle édition sur le stand d'Electre/Livres Hebdo (C4), vendredi 24 juin à 12 heures.
Be yourself !
Et si la communication était un sujet en trompe-l'oeil ? Un moyen d'éviter la question de ce qu'est (et doit être) la bibliothèque (et les bibliothécaires) ? Le sociologue Claude Poissenot (1) réfléchit sur les conditions de la communication des bibliothèques.
"Comment le thème de la "communication" en est-il venu à s'imposer aux bibliothécaires au point de devoir lui consacrer un congrès ? Aurait-on pu imaginer telle question il y a vingt ans quand la France venait de donner naissance à la BNF et construisait des bibliothèques comme par évidence ?
C'est que le contexte a bien changé. Si certaines collectivités continuent de programmer des établissements, certaines y ont renoncé et d'autres s'interrogent même sur le bien-fondé de ce type d'équipement. Il faut dire que les budgets publics connaissent des tensions de plus en plus fortes. Par ailleurs, la diffusion continue d'Internet et la numérisation de l'information donnent de plus en plus aux usagers potentiels les moyens de se dispenser de fréquenter les bibliothèques... ce qu'ils font effectivement.
La communication apparaît comme une réponse à un doute qui s'insinue de l'extérieur vers l'intérieur des bibliothèques. Elles doivent faire parler d'elles pour créer une adhésion, un attachement auprès des tutelles et des publics susceptibles de protéger leurs budgets et leurs postes. Par ailleurs, comme d'autres groupes professionnels, les bibliothécaires recherchent la reconnaissance de leurs contemporains. Ils ne se reconnaissent pas dans le stéréotype du bibliothécaire et voudraient le faire évoluer afin qu'il se rapproche de leur véritable visage. L'enjeu n'est pas seulement professionnel tant leur définition comme bibliothécaire affecte jusqu'à leur identité personnelle, leur rapport au monde. Cette demande de reconnaissance repose largement sur un constat fondé d'un décalage entre l'image que la population se fait du lieu et la réalité même des bibliothèques. Si les publics potentiels savaient ce qu'il est possible de faire à la bibliothèque, ils seraient plus à même de venir. De ce fait, l'institution s'en trouverait valorisée et donnerait à voir en quoi elle est indispensable auprès de ceux qui lui fournissent ses budgets.
Il faut donc communiquer, mais la question du quoi ne doit pas être évacuée par celle du comment. Elle doit être précédée d'une analyse de la situation. Pour pouvoir communiquer, il convient de prendre en compte le point de vue de ceux à qui on s'adresse. Car en réalité la bibliothèque communique déjà par tout ce qui la donne à voir : bâtiment, personnel, animation, actions hors les murs, visites scolaires, etc. Quand une bibliothécaire reprend un usager qui vient demander si "le livre que [qu'il a] commandé est arrivé" en lui précisant : "Vous voulez parler de votre suggestion d'acquisition ?", elle donne une vision de la bibliothèque dans laquelle le pouvoir appartient aux professionnels à la fois dans la décision d'acquérir ou non, mais aussi dans le recours à un vocabulaire particulier : l'idée d'"acquisition" renvoie à celle de "collection" qui se constitue de façon raisonnée et non au gré du hasard des demandes des usagers. Quand une bibliothèque accueille une exposition du Frac, elle donne à voir son ancrage dans le monde de la création artistique. Il en va de même lorsqu'elle accueille un écrivain ou un artiste pour une conférence. A l'inverse, quand un bibliothécaire inspiré entreprend de rendre hommage à Michael Jackson par une chorégraphie réussie dans l'espace de la médiathèque de Limoges, il fait passer l'idée que cet équipement est en prise avec les émotions collectives et personnelles des habitants. En témoignent les commentaires impressionnés des internautes (usagers des bibliothèques ou non) devant la qualité de la performance de ce professionnel !
Parfois, c'est y compris ce qu'elle cache qui rattrape la bibliothèque... Pensons par exemple à la mise au jour par Ouest-France du pilonnage de certains ouvrages désherbés par la BM de Rennes. Les usagers potentiels se forment donc déjà une image de la bibliothèque par leur expérience personnelle, par celle de ceux qui les entourent, par les images médiatiques, les discours politiques ou les articles de presse quotidienne régionale. Cela signifie qu'on appelle "communication" la part de l'image de l'institution qu'elle cherche à maîtriser. Celle-ci ne peut pas faire disparaître tout ce tissu de représentations qui finit par former une image de la bibliothèque.
Parce que les bibliothèques publiques doivent leur fréquentation uniquement au choix de nos contemporains (et parce qu'Internet leur fournit de plus en plus les moyens de ce libre arbitre), elles sont condamnées à la séduction. Elles ne peuvent "mentir" aux usagers potentiels car ceux-ci en tireraient instantanément les conclusions en renonçant à venir et en colportant leur jugement et leur désillusion. Il convient donc de montrer à nos concitoyens en quoi la bibliothèque peut leur être réellement utile ou agréable. En quoi elle s'adresse à eux tels qu'ils sont et non tels qu'elle voudrait qu'ils soient ! Par contre-exemple : la mise en scène de références culturelles légitimes dans une campagne d'affichage risque ainsi de présenter en creux une image de l'usager idéal comme étant défini par sa curiosité et sa culture. Ainsi, une affiche d'une campagne pour les bibliothèques de Nantes accroche les passants par le slogan : "Depuis l'expo près du boulot, les surréalistes, c'est mon dada." Malgré le ton léger et l'argument de la proximité, l'univers culturel de référence reste légitime bien que non passéiste.
Cette tension entre l'aspiration à la reconnaissance publique et la persistance d'une définition cultivée de la bibliothèque explique sans doute la difficulté des bibliothèques dans leur démarche de communication. Pour communiquer un message, faut-il encore que celui-ci soit clair. Qu'est-ce qu'une bibliothèque ? En quoi s'adresse-t-elle réellement à la population qu'elle dessert ? Quelle est la manière dont elle envisage la relation avec ses publics ? Si on a coutume d'opposer la mission sociale des bibliothèques qui serait "laxiste", "peu exigeante", à la mission culturelle qui serait garante du respect de la "qualité", on néglige le fait que la mission sociale peut simplement se définir par son point de départ, qui consiste à prendre en compte la population telle qu'elle est. C'est cette voie qui semble à même de permettre la construction d'une relation de confiance avec les publics, condition pour la réception de références intimidantes. En matière de communication, cela suppose de montrer en quoi la bibliothèque sait répondre aux aspirations y compris prosaïques de la population. Pourquoi ne pas voir fleurir les affiches "Venez réviser à la bibliothèque !" à la veille des examens de fin d'années ? Ce serait cohérent car de nombreux élèves découvrent la bibliothèque par les visites de classe. Logiquement, ils pourraient penser que la bibliothèque serait le lieu légitime pour s'acquitter de leurs devoirs scolaires. Comment peuvent-ils comprendre le point de vue idéal de la bibliothèque comme lieu du plaisir gratuit de la culture (et sa traduction dans un accueil et des collections peu concernés par l'enjeu scolaire) alors qu'ils l'ont découvert, en tant qu'élèves ? Ce serait comme attendre que l'amour naisse d'un mariage arrangé ! Possible mais incertain... Cette absence de communication sur la fonction scolaire de la bibliothèque s'explique par la fixation de celle-ci sur une définition de la culture loin de faire l'unanimité dans la population, assez incompréhensible du point de vue des enfants et de leurs parents.
Ainsi, pour communiquer, les bibliothèques doivent demander à leur personnel d'être à l'écoute de la riche complexité de ce qui les compose : être de raison et de curiosité mais aussi de sensations, de divertissement, de sociabilité, de conformisme, etc. Une campagne de communication interne avec le slogan "Be yourself !" devrait donc précéder toute initiative de promotion de la bibliothèque vers la population car elle aussi est composée de la même "matière". Les bibliothécaires ne doivent pas attendre de leurs usagers qu'ils soient conformes à l'image idéale d'eux-mêmes mais à leur image réelle. Combien de bibliothécaires reconnaissent en privé qu'ils ne se retrouvent pas dans les choix qu'ils font à titre professionnel pour la bibliothèque ? Par exemple : le classement des films par réalisateurs est "bibliothéconomiquement" légitime et beaucoup de professionnels en savent personnellement bien les limites. Autre exemple : à titre privé, les bibliothécaires savent prendre leur distance avec la culture légitime ; à titre professionnel, ils pourraient en tirer les conséquences et favoriser le divertissement, le bruit, le relâchement du corps et les références redondantes. Cette posture réconciliée du bibliothécaire, qui ne dissocie pas son identité personnelle de son identité statutaire, s'observe chez une fraction croissante des professionnels. Elle est sans doute le meilleur atout de l'avenir des bibliothèques et certainement plus efficiente que des campagnes de publicité. Celles-ci sont vouées à l'échec sans cette nouvelle manière d'envisager le métier. La communication ne peut permettre aux bibliothèques de maintenir vivante une définition révolue d'elles-mêmes."
(1) Claude Poissenot enseigne à l'IUT métiers du livre de Nancy et tient un blog sur Livreshebdo.fr.
Etranger : ma bibliothèque bien-aimée
Contrairement à la France, les pays anglo-saxons, en tête desquels les Etats-Unis, ont développé depuis longtemps toute une panoplie d'outils pour "vendre" leurs établissements.
Si, en France, la communication n'a fait que récemment et encore trop timidement son entrée dans l'univers des bibliothèques, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne ont adopté sans complexe, et depuis de nombreuses années déjà, les outils de communication et de marketing issus du monde de l'entreprise et du commerce. Aux Etats-Unis, l'American Library Association (ALA), l'association de professionnels des bibliothèques la plus ancienne (créée en 1853) et la plus grande (66 000 membres) au monde, déploie un arsenal impressionnant de moyens. Elle dispose d'un bureau pour la promotion des bibliothèques, d'un bureau d'information, d'un bureau pour les relations avec le gouvernement et d'un budget dédié considérable. En 2007, Leslie Burger, alors présidente de l'ALA, nous confirmait que son association consacrait de gros moyens à promouvoir les bibliothèques et leur donner une meilleure visibilité dans la société américaine : "Il faut convaincre les Américains, et en particulier les élus, de ce que nous sommes capables de faire", affirmait-elle (1). L'association est à l'origine de très nombreuses manifestations telles que la Semaine nationale des bibliothèques organisée chaque année en avril depuis 1958, le Mois de la carte de bibliothèque en septembre, pour inciter les parents à inscrire leurs enfants à la bibliothèque, la Semaine nationale des amis de la bibliothèque en octobre, etc.
LES ÉCRIVAINS À LA RESCOUSSE
Fait notable, il existe aux Etats-Unis une proximité plus importante qu'en France entre les bibliothèques et les auteurs. Ces derniers participent aux campagnes d'affichage en faveur des bibliothèques et sont largement présents dans les congrès organisés par l'association. La Semaine nationale des bibliothèques a fait cette année appel à John Grisham pour l'affiche portant le slogan "Visitez votre bibliothèque aujourd'hui et créez votre propre histoire" ainsi que pour une courte vidéo où l'auteur de best-sellers explique le rôle que les bibliothèques ont tenu dans son enfance, mais aussi dans le succès de ses premiers livres, achetés en nombre et recommandés par les bibliothécaires à leurs lecteurs. Lors du prochain congrès annuel de l'ALA, à la fin juin, à La Nouvelle-Orléans, de nombreux écrivains seront présents, dont le très médiatisé Harlan Coben. L'association a également lancé récemment l'opération "Les auteurs pour les bibliothèques", un partenariat dans lequel des écrivains prennent la parole en faveur des bibliothèques au niveau local ou national. Les écrivains déboursent 39 dollars pour s'inscrire au programme qui leur offre en échange différents outils de promotion de leurs livres auprès des bibliothèques (liens sur leur site, information sur leurs séances de dédicaces, etc.).
L'IMPLICATION DE LA PRESSE
La presse nationale, comme le New York Times, n'hésite pas à s'associer aux manifestations et aux prix organisés en faveur des bibliothèques. En 2007, l'ALA a noué un partenariat avec le magazine féminin Woman's Day pour publier régulièrement des témoignages de lectrices sur le thème "Comment la bibliothèque a changé ma vie". Pas moins de 2 000 histoires ont été relatées. L'opération a été renouvelée ensuite autour de différents sujets tels que "Comment la bibliothèque m'a aidé à démarrer mon entreprise" et "Comment la bibliothèque m'a aidé à améliorer ma santé". Library Journal, le principal magazine professionnel américain, est également un acteur très actif. Il organise, en partenariat avec Gale Cengage Learning (développeur de solutions informatiques dans le domaine de l'éducation et de la recherche) de nombreux prix comme le Library of the Year Award, doté de 10 000 dollars, qui distingue chaque année une bibliothèque pour son action. Le Best Small Library Award, organisé depuis sept ans, récompense quant à lui 3 établissements innovants desservant une ville de moins de 25 000 habitants. Le lauréat reçoit 15 000 dollars, et les 2 autres finalistes 5 000 dollars chacun. "Les gagnants acquièrent un prestige inestimable auprès de leur communauté et une attention dans les médias nationaux, avec bien souvent pour résultat une amélioration de leurs relations avec les élus locaux ainsi qu'une augmentation de leur budget", affirme Library Journal sur son site Web. Conforme en cela à un état d'esprit très américain, ce sont non seulement les établissements mais aussi les personnes qui sont mises en valeur. Organisé depuis vingt-trois ans et ouvert à tous les professionnels des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, le prix du Bibliothécaire de l'année récompense un professionnel pour sa carrière et son implication en faveur de la lecture. Sur le même principe, Movers and Shakers distingue chaque année depuis dix ans des professionnels pour leur travail remarquable dans différents domaines (innovation, technologie, communication, marketing, etc.). Les lauréats ont droit à un grand portrait dans un dossier spécial du journal consacré à la manifestation.
UN ZESTE D'IMAGINATION
Si en France les professionnels se sont longtemps montrés réticents à "vendre" leurs bibliothèques, les Américains et d'autres professionnels ailleurs sont beaucoup plus pragmatiques et décomplexés quant aux moyens à utiliser. Un peu partout dans le monde, les bibliothèques rivalisent d'imagination pour communiquer de manière plus attractive et moderne.
Récemment, une bibliothèque scolaire du Kansas a publié en ligne une BD baptisée La bibliothèque des morts-vivants, qui entraîne ses personnages dans les différentes classes de la Dewey et constitue un guide d'utilisation pour le moins original.
Le réseau des bibliothèques municipales d'Amsterdam dispose d'un service marketing qui emploie 6 personnes. Sa mission consiste à informer des nombreuses manifestations et activités des bibliothèques, mais mène également une démarche proactive pour connaître les attentes des différents publics et mieux communiquer de manière ciblée avec eux. "Nous réalisons régulièrement des enquêtes pour connaître notre public, savoir qui fréquente nos différentes manifestations, mieux comprendre les raisons qui les motivent pour adhérer à la bibliothèque, explique Iet Wiersma, du département marketing. Nous menons 10 actions spécifiques de marketing par an, par exemple écrire aux parents des enfants qui fréquentent nos bibliothèques mais qui n'ont pas eux-mêmes de carte, ou encore promouvoir certains services, comme le prélèvement automatique du montant annuel de l'adhésion." Les bibliothèques d'Amsterdam publient un magazine mensuel et sont, bien sûr, présentes sur les principaux réseaux sociaux, qui ont pris une place essentielle dans la stratégie de communication de nombreuses bibliothèques.
Le réseau des Idea Stores de Tower Hamlet, dans la banlieue de Londres, est particulièrement actif dans ce domaine sur Twitter, Facebook, YouTube ou Flickr, ce qui permet une communication massive et cohérente autour de ses événements. "Notre site Internet est l'un de nos plus grands atouts, explique Bob Stuart, l'un des deux salariés du service marketing. Une sorte de cinquième Idea Store où les gens peuvent trouver les informations qu'ils cherchent sans avoir à se déplacer. Ils peuvent télécharger des ebooks ou des livres audio, réserver des documents, s'inscrire en ligne."
(1) Voir LH 699, du 31.8.2007, p. 74.