La bulle s’est dégonflée. Après une année 2013 exceptionnelle, portée par de nombreux best-sellers et des adaptations cinématographiques, le marché de l’imaginaire en grand format accuse un net recul, avec une forte baisse du nombre d’exemplaires vendus et des mises en place (voir graphiques ci-dessous). Chez Nouveaux Millénaires, 2014 n’a pas été une année simple. "Les lecteurs se sont concentrés sur les auteurs connus et reconnus, préférant la sécurité aux découvertes", estime Florence Lottin, directrice éditoriale responsable des littératures de genre. Même constat chez Bragelonne dont l’activité a chuté de 9 %. "Une triste réalité, même si la diversité de notre catalogue et la force de nos mid-sellers nous permettent de ressentir moins fortement la baisse du marché", admet Stéphane Marsan, son directeur éditorial.
Pour 2015, Bragelonne prévoit un ajustement de sa production et un renforcement de son offre en imaginaire avec deux objectifs principaux : travailler la médiation autour du genre auprès des librairies de premier niveau, et séduire un public éloigné de l’imaginaire. Pour cela, l’éditeur lancera en mars "Stars", une nouvelle collection d’incontournables de la fantasy, et il annonce la sortie du Club Vesuvius, premier roman de Mark Gatiss, scénariste et acteur dans la série Sherlock (février), de Havrefer, une trilogie de fantasy chorale de Richard Ford, puis du tome 2 de La voie de la colère, le livre phénomène d’Antoine Rouaud. De son côté, Nouveaux Millénaires jouera la stabilité avec la publication au second semestre du prix Hugo du meilleur roman 2014 signé Ann Leckie. La maison poursuivra également son travail d’exploration avec Ætherna de Guilhem Méric, la série Ryan Blake de Sklaerenn Baron et le lancement d’un nouvel auteur français d’urban fantasy, Thomas Andrews.
Chez Fleuve éditions, où l’année a été marquée par la nomination de David Camus à la tête du secteur Imaginaire, 2015 sera une année de transition avec la publication d’Echopraxia de Peter Watts en juin, de deux ouvrages de China Miéville (Embassy town et Perdido street station) et de l’arrivée au catalogue en fin d’année du Québécois Patrick Senécal. Pour Pygmalion, les mois à venir seront marqués par le départ de son éditeur Charles Dupêchez, l’arrivée de Nicolas Watrin comme directeur du marketing et la parution en mars d’un recueil de trois nouvelles de George R. R. Martin (L’œuf de dragon, Le chevalier errant et L’épée lige) et des tomes 2 et 3 de la série de Robin Hobb, Le fou et l’assassin, au printemps et à l’automne.
A contre-courant
Si les gros éditeurs affichent un bilan 2014 mitigé, les indépendants, eux, semblent être passés à côté de la tempête. La majorité des petites maisons spécialisées estiment récolter les fruits de la constance : au cours des deux dernières années, elles se sont recentrées sur leur catalogue, resserrant les programmes, renforçant le suivi des auteurs et abandonnant les projets non porteurs. "Privilégier la qualité, ça paye sur la durée : on voit les résultats d’une politique éditoriale exigeante et raisonnable qui nous a permis de fidéliser un lectorat, d’imposer des auteurs et de cristalliser une communauté", se félicite Olivier Girard, fondateur des éditions du Bélial, qui réalise de belles ventes avec sa revue littéraire spécialisée Bifrost. Chez Mnémos, 2014 a été une année positive. "Nous progressons en termes de CA et de bénéfices depuis deux ans d’affilée. Malgré la prudence des libraires, beaucoup de nos titres ont un bon réassort dans les 2-3 mois qui suivent leur implantation", explique Frédéric Weil, son directeur éditorial. A L’Atalante, le chiffre d’affaires est resté stable, "malgré moins de livres vendus", reconnaît Mireille Rivalland, qui note une baisse du réassort mais le maintien de son trio de tête composé de Terry Pratchett (voir encadré), Dmitry Glukhovsky et Pierre Bordage.
Vitesse de croisière
Stabilisés et relativement à l’abri des fluctuations, les éditeurs de l’imaginaire ont atteint leur vitesse de croisière et abordent 2015 avec sérénité. Rassuré par l’accueil chaleureux réservé en 2014 aux auteurs contemporains, Mnémos continuera dans cette direction avec la publication des nouveaux romans des Français Fabien Cerutti et Adrien Tomas, et de la saga du Livre du long soleil de Gene Wolfe. La maison renforce également ses publications d’intégrales prestige, dont chaque volume s’écoule à au moins 2 000 exemplaires, et publiera cette année Les nuits du Boudayin, la totalité des enquêtes de Marîd Audran de George Alec Effinger, et l’œuvre culte de la fantasy Viriconium de M. John Harrison. Tout en continuant son labeur de découvreur de talents, L’Atalante comptera cette année sur les ténors de son catalogue : elle publiera en mai un one-shot d’anticipation de Pierre Bordage et à l’automne Futu.re de Glukhovsky, deux titres qui traitent des thèmes de l’enfant et du sacrifice. En 2015, Au Diable vauvert poursuivra sa politique d’auteur avec la publication de l’IntégraleProphéties de Pierre Bordage, de Heureusement le lait de Neil Gaiman, et du dernier Paolo Bacigalupi. L’éditeur prépare également un grand événement autour du Français Ayerdhal avec la réédition le 12 mars de l’intégrale du Cycle de Cybione (tome 1 à 4) et la parution simultanée de Kwak, la suite inédite de la série culte des années 1990. En "Lunes d’encre", Gilles Dumay poursuivra sur sa lancée. Pour l’éditeur, qui prévoit huit titres cette année, dont le nouveau Jo Walton, Le cercle de Farthing en février, la réédition du chef-d’œuvre Le voyage de Simon Morley de Jack Finney en mars et L’adjacent de Christopher Priest en avril, l’important est que le lecteur habituel de la collection "se sente gâté par le nouveau programme".
Présence en librairie
Malgré ces bonnes nouvelles, il reste toutefois difficile d’installer sur la durée un nouvel auteur en librairie. "La structuration du marché coincé par la surproduction et la frilosité des libraires généralistes nous oblige à trouver des alternatives et à penser au plus près notre positionnement", analyse Jérôme Vincent, fondateur d’ActuSF. Face à ce constat, l’éditeur est passé à l’offensive en 2014 avec un recentrage de son offre, une restructuration de la maison pour organiser mieux la représentation du catalogue et la mise en marche d’un plan de travail de "surdiffusion" auprès des libraires. Une stratégie payante puisque ses auteurs maison comme Sylvie Lainé et Karim Berrouka ont été bien accueillis en librairies. Pour 2015, l’éditeur annonce la parution du très beau La république des enragés de Xavier Bruce et du Royaume de vent et de colère, une uchronie sur la ville de Marseille à la Renaissance signée Jean-Laurent Del Socorro.
Galvanisé par une année plutôt bonne, Le Bélial continue son expansion en librairie et lancera en septembre prochain une nouvelle collection dédiée aux novelas (courts romans de 160 à 200 pages). Baptisée "Une heure lumière", elle accueillera à la rentrée quatre nouveautés dont une signée Thomas Day et trois traductions. Référence dans le domaine des essais sur le genre, Les Moutons électriques se réorientent quant à eux vers la fiction. En 2014, la maison a publié le jeune auteur Stefan Platteau, dont le premier roman s’est écoulé à 2 500 exemplaires. En attendant la suite, l’éditeur publiera Ogre, une novela du même écrivain en fin d’année. En 2015, André-François Ruaud annonce deux nouveaux Jean-Philippe Jaworski, dont la suite de Même pas mort, vendu à plus de 7 000 exemplaires et en cours de réimpression. En fantasy, l’éditeur prépare en grande pompe la parution de Or et nuit de Mathieu Rivero, qui sera mis en vente à la fois pour adultes et pour jeunes adultes. Un galop d’essai pour Les Moutons électriques qui envisagent de s’installer sur ce rayon en 2016 avec la création d’un label dédié. Une décision éditoriale forte qui répond à un constat partagé par de nombreux éditeurs du secteur : la dissolution, en librairie, des frontières entre les rayons oblige les professionnels à diversifier leurs activités et à chasser sur les terres de la jeunesse et des jeunes adultes.
La fantasy et la SF en chiffres
Le poche à l’offensive
En retrait l’an dernier, le segment de l’imaginaire en poche cherche un nouvel équilibre entre blockbusters et découvertes.
Pour la première fois depuis des années, l’édition imaginaire au format poche accuse une baisse en valeur et en volume. Au Livre de poche, la tendance se fait sentir "même si le chiffre est toujours très satisfaisant par rapport à la production", tempère Audrey Petit, directrice éditoriale. L’an dernier, la maison a maintenu le cap grâce à son trio Maxime Chattam, Bernard Werber et Stephen King. Avec 42 nouveautés et 15 remises en vente, Le Livre de poche opte en 2015 pour une réduction de la production. "Notre objectif est de valoriser nos auteurs de premier plan et de défendre les petits nouveaux en misant sur la viralité existante dans le milieu de fans : en diffusant une newsletter imaginaire ou avec des jeux concours", explique Audrey Petit. Outre quelques valeurs sûres, l’éditrice publiera des titres plus confidentiels comme Le clan suspendu d’Etienne Guéreau, La cité à la fin des temps de Greg Bear, un roman de Robert Silverberg et un autre de Iain Banks. La maison prévoit également quatre inédits, dont un de Bernard Werber. Chez J’ai lu, les locomotives de 2014 ont été sans surprise George R. R. Martin et Robin Hobb, qui sont à nouveau prévus au programme de 2015. L’éditeur publiera aussi Les cités englouties de Paolo Bacigalupi, la série Aliette Renoir de Cécilia Correia et La fraternité du Panca de Pierre Bordage, ainsi qu’All Clear, le nouveau titre de Connie Willis dont le roman Black-out s’est très bien comporté l’an dernier avec 15 000 exemplaires vendus.
Accélérer la cadence
Label poche de Bragelonne, Milady accélère la cadence avec de nombreux passages en poche de séries emblématiques du catalogue grand format comme La voie de la colère d’Antoine Rouaud (janvier), Haut-Royaume de Pierre Pevel (mars) ou encore L’empire brisé de Mark Lawrence (juin). Une offre ambitieuse qui culminera en fin d’année avec la toute première sortie poche de L’épée de vérité de Terry Goodkind. Chez Pocket "Science-fiction", une partie du programme collera à l’actualité cinématographique : après Player one, le roman d’Ernest Cline en cours d’adaptation cinématographique, la maison publiera une dizaine de titres autour de la saga Star wars, avec notamment, en avril, L’ultime épreuve, et trois intégrales pour octobre. Ces gros lancements étrangers s’accompagneront d’un focus sur les plumes francophones. Les révélations françaises seront en effet à l’honneur avec la parution en janvier de la trilogie de Gabriel Katz, Le puits des mémoires, en partenariat avec Scrineo. Les tomes 1, 2 et 3 seront respectivement publiés en janvier, avril et septembre.
Quant à "Hélios", la collection poche créée il y a deux ans par les Indés de l’imaginaire (ActuSF, Mnémos et Les Moutons électriques), elle passera à la vitesse supérieure en 2015 avec plus de cinquante titres prévus dont dix édités par Actu SF (Alan Moore, Dan Simmons). Mnémos y publiera en février Les enfants de l’éternité de Juan Miguel Aguilera et en mars Evariste d’Olivier Gechter. Les Moutons électriques y prévoient en janvier L’île au trésor de Pierre Pelot avec une belle mise en place à 2 600 exemplaires, un Jaworski inédit en mai, Le sentiment de fer, et L’homme aux semelles de foudre d’Ayerdhal, entièrement réécrit par l’auteur. Enfin, la collection accueillera Dominique Douay, auteur phare des années 1970 en SF, qui revient avec une nouvelle version de son chef-d’œuvre, La vie comme une course de chars à voile.
Salut Martin !
Si le format poche domine logiquement notre palmarès annuel GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes en littérature de l’imaginaire, 2014 aura été malgré tout une bonne année pour le grand format avec 17 nouveautés parmi les 50 meilleures ventes de l’année. Sans surprise, George Martin reste omniprésent et l’absence de nouveau roman l’an dernier n’a pas pénalisé J’ai lu, qui a publié une intégrale du Trône de fer : les 5 tomes qui la composent se placent dans le peloton de tête. Les tomes 1 et 2 s’offrent respectivement la première et la troisième place tandis que L’œuf de dragon, une préquelle du Trône de fer publiée par Pygmalion, se hisse en 9e position. Derrière l’Américain, un trio d’auteurs occupe le reste du terrain : Stephen King, Maxime Chattam et Bernard Werber. Ce dernier rafle d’ailleurs la 2e place du classement avec le tome 3 de Troisième humanité (Albin Michel). Stephen King a quant à lui cartonné en poche au Livre de poche avec pas moins de 5 titres au classement dont 22/11/63 qui s’est placé en 7e position. La saga Autre-monde de Maxime Chattam continue de bien se vendre en poche comme en grand format : Neverland (Albin Michel), le dernier volume de la série, se classe 25e. En parallèle, Charlaine Harris et sa Communauté du Sud (J’ai lu) s’offrent la 20e place tandis que Terry Goodkind se positionne au 30e rang avec le tome 14 de L’épée de vérité.
2014 aura été aussi l’année des classiques avec de nombreuses meilleures ventes réalisées par Tolkien ou Isaac Asimov. A la 4e place avec Le meilleur des mondes (Pocket), Aldous Huxley revient au goût du jour, tout comme Ray Bradbury dont le roman Fahrenheit 451 (Folio) occupe la 15e position. Enfin, de plus en plus prisés par les éditeurs comme par les lecteurs, les écrivains français de l’imaginaire ont réalisé de très beaux scores comme Alain Damasio ou Antoine Volodine, dont le dernier ouvrage, Terminus radieux (Seuil), se classe 28e.