Dossier

Dossier Art de vivre: tous Scandinaves

Olivier Dion

Dossier Art de vivre: tous Scandinaves

L’émergence de phénomènes éditoriaux comme le hygge ou le rangement minimaliste permet de redéfinir les contours d’un art de vivre davantage centré sur l’espace intérieur et la convivialité. De nouveaux concepts voient régulièrement le jour, alimentant les rayons des librairies où ils se déclinent sous toutes les formes.

J’achète l’article 4.5 €

Par Charles Knappek
Créé le 13.04.2018 à 09h34

Se sentir bien chez soi. Assez éloigné de l’art de vivre à la française, avec sa gastronomie, ses bonnes manières ou son patrimoine culturel, l’art de vivre tel qu’il se conçoit dans la production éditoriale de 2018 relève d’univers dont il a été longtemps absent. Qu’il s’agisse de développement personnel, de loisirs créatifs, d’aménagement intérieur ou de cuisine, il se situe au croisement de plusieurs genres - jusqu’à présent plutôt bien identifiés - que de nouveaux concepts éditoriaux ont récemment rapprochés.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

En tête de liste, on trouve évidemment le hygge. Depuis la publication du Livre du hygge (First) en novembre 2016, ce mot danois qu’on pourrait traduire par "cocooning" symbolise jusqu’à l’excès le segment des ouvrages proposant une approche de l’art de vivre à travers le miroir grossissant, voire déformant, de modèles importés de pays plus ou moins exotiques, plus ou moins fantasmés. D’autres philosophies de vie ont depuis fait leur apparition sur les tables des librairies: tout comme le hygge danois, le lagom (suédois) et plus récemment l’ikigaï (japonais) prônent le lâcher-prise, la quête de sens, et sont à l’origine d’une importante production éditoriale. Sans parler de la vogue du rangement et du minimalisme incarnée depuis 2015 par la Japonaise Marie Kondo, elle aussi publiée chez First.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Convivialité

Les lecteurs, ou plutôt les lectrices - ultra majoritaires sur ce marché - savent à quoi s’en tenir. "Ces livres d’art de vivre se vendent tout seul, nous n’avons presque pas d’interactions avec les clientes, relève Valérie Guillaumie, responsable du rayon loisirs et vie pratique à la librairie Les Volcans, à Clermont-Ferrand. Elles savent ce qu’elles veulent ou alors ce sont des achats d’impulsion." "Les lectrices cherchent un nouvel équilibre sans être dans la négation totale de ce que la société de consommation leur propose, résume Suyapa Hammje, directrice éditoriale chez Solar. Elles ne sont pas dans une logique de déconnexion, mais simplement de mieux-être et de quête de sens." Solar affiche quatre titres dédiés au hygge dans son catalogue, dont Mon cahier hygge. Happy thérapie : vive le comfort lifestyle !, écoulé à plus de 13 000 exemplaires.

"La dimension sociale est très importante, souligne pour sa part Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale du pôle référence chez First. Jusqu’à récemment, les livres de développement personnel étaient beaucoup dans l’introspection. En intégrant l’art de vivre, ils font de la convivialité un élément clé du bien-être à la maison." Précurseur en matière de hygge, First a bénéficié de l’effet de nouveauté, devant Hygge : l’art du bonheur à la danoise, pourtant paru exactement le même jour chez Robert Laffont. "Quand il est sorti, Le livre du hygge était inclassable, ajoute Sophie Rouanet, responsable d’édition chez First. Le fait d’avoir un format document classique, mais illustré, était assez nouveau, tout comme l’alliance d’un contenu solide à une forme agréable, qui est devenue notre marque de fabrique." First a depuis décliné le concept dans plusieurs formats (cahier hygge pour les Nuls, recettes de desserts, coloriage). La maison va même investir le champ du roman avec Mission hygge, en mai. "Ce titre fait partie de notre nouvelle collection de romans, explique Marie-Anne Jost-Kotik. C’est un clin d’œil au hygge, mais une exception dans le catalogue des titres que nous allons y publier."

 

Déclinaison du concept

L’art de vivre s’est certes teinté de développement personnel, mais reste en lien avec des pratiques très concrètes. Sur la quarantaine de titres abordant le hygge parus en un an et demi, un assez petit nombre propose une approche globale, le créneau ayant été préempté par First. La plupart des éditeurs ont opté pour des ouvrages de mise en application du concept. Sur le thème, on a vu éclore des ouvrages de tricot, cuisine, décoration, desserts… quitte à adapter le contenu aux spécificités françaises. "Nous avons publié deux livres sur le hygge, mais qui sont rédigés par des auteures françaises et tenant compte des mentalités hexagonales, indique Karine Bailly de Robien, directrice éditoriale chez Leduc.s. Les Danois quittent leur travail à 17 heures, quand il fait déjà nuit. Les Français, eux, vivent plus tard et sont moins enfermés dans leur cocon. Il faut en tenir compte." La formule présente aussi l’avantage de simplifier les opérations de promotion, signatures et prises de parole. De son côté, Guy Trédaniel a publié La magie du hygge sous la marque Contre-dires, un titre qui "dépasse les belles photos de plaid et de bougies pour proposer du développement personnel tel que nous savons le faire chez Guy Trédaniel", assure Sophie Gillot, éditrice.

La vogue de l’art de vivre nordique surtout portée par le hygge, trouve aussi son prolongement dans le lagom, terme suédois évoquant la modération et la simplicité. Modération que l’on retrouve d’ailleurs dans la production éditoriale puisque seulement 11 titres consacrés au lagom sont paru depuis août 2017, avec des volumes de ventes certes significatifs, mais plus modestes que pour le hygge. Certains éditeurs ont préféré faire l’impasse: "Le lagom est trop voisin du hygge, souligne Suyapa Hammje, chez Solar. On ne peut pas indéfiniment tirer sur la corde."

Si, pour les éditeurs, l’art de vivre n’est pas réductible aux seuls labels scandinaves, il constitue néanmoins une intéressante porte d’entrée dans une stratégie de diversification. Dunod, par exemple, a couvert aussi bien le hygge que le lagom pour s’installer sur le segment du développement personnel. "Nous poursuivons notre ouverture au grand public dans des domaines proches de nos territoires historiques, résume Eric d’Engenières, directeur éditorial culture et loisirs. Nous avons beaucoup de titres assez pointus en psychologie positive et développement personnel. Avec ces titres grand public, nous arrivons à une offre complète."

"Le hygge se situe au-delà de l’effet de mode, juge Tatiana Delesalle, directrice éditoriale chez Mango, qui a publié un livre et un coffret tricot hygge ainsi qu’un ouvrage de recettes danoises. "Il participe d’une prise de conscience plus globale qu’on ne peut continuer dans le schéma actuel d’hyperconsommation et qu’il faut adopter des comportements éco-responsables." Le succès des livres sur le rangement et le minimalisme accompagne cette tendance générale. "Avec Marie Kondo, on n’a pas affaire à une coach, mais à une personne qui raconte son histoire. C’est cette authenticité qui a séduit le public", explique Marie-Anne Jost-Kotik. "Nous publions des livres pour mieux vivre, ajoute Karine Bailly de Robien, chez Leduc.s. On le voit dans l’évolution du profil des auteurs qui mettent beaucoup plus d’eux-mêmes dans leurs ouvrages. Les modes d’emploi ont été remplacés par des livres très incarnés."

 

Sylvothérapie

Cela se vérifie encore dans les titres consacrés à l’ikigaï, ce concept japonais visant à renforcer l’estime de soi de la personne en l’encourageant à pratiquer ce qui la rend heureuse. Leduc.s annonce ainsi pour fin juin Je trouve mon ikigaï. Fleuve éditions a été le premier à consacrer un ouvrage à la thématique dès avril 2017 avec Ikigaï : le secret des Japonais pour une vie longue et heureuse, vendu à plus de 5 000 exemplaires. Depuis le mois de janvier, les titres concurrents arrivent en rayon: First, Hugo New Life, Marabout, Solar et Mazarine ont chacun publié un ouvrage. Là encore, le fait de pouvoir s’appuyer sur un concept nommé constitue un véritable atout: "Ikigaï, c’est plus vendeur qu’un bilan de compétences", confie Marie-Anne Jost-Kotik, qui signale déjà plus de 4 000 unités vendues pour Trouver son ikigaï : vivre ce qui nous passionne, paru début janvier. Jouvence complétera les rayons avec L’art de persévérer en gardant le sourire : les secrets des Japonais à votre portée, qui s’inspire de plusieurs philosophies de vie nippones, parmi lesquelles le zen, le kaizen et bien sûr l’ikigaï.

Quelle sera la tendance art de vivre du second semestre? S’il invite les lecteurs à franchir le seuil de leur porte, le concept - encore une fois - japonais de shinrin yoku (bain de forêt ou sylvothérapie) s’annonce prometteur. Star de la dernière Foire de Francfort, il a fait l’objet d’une première publication chez First le 15 mars dernier, Shinrin yoku : l’art et la science du bain de forêt. Le 14 mars, Marabout s’est déjà positionné avec Un bain de forêt : découvrez le pouvoir de la sylvothérapie. Kero, Guy Trédaniel et Solar suivent de près.

L’art de vivre en chiffres

Etre bien chez soi

 

A côté du hygge, lagom et autre ikigaï, des ouvrages ne se revendiquant d’aucun "label" font le pari de dépasser les effets de mode.

 

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Le hygge, le lagom et l’ikigaï ont le vent en poupe en librairie, mais pour combien de temps encore? Certains éditeurs, même s’ils ont publié des livres sur ces tendances venues d’ailleurs, déploient aussi des titres typiquement art de vivre, plus classiques dans leur forme, ne se revendiquant d’aucun "label". C’est le cas d’Hachette Loisirs, qui annonce pour le 25 avril Déco thérapie, sur les bienfaits de la décoration d’intérieur. "Comme nous n’étions pas les premiers, nous avons peu publié sur la thématique du hygge, confie Anne Le Meur, responsable éditoriale du pôle référence. Avec ce genre de titres, nous voulons nous inscrire dans une logique plus durable." De la même façon, Mango publie le 20 avril Ma maison, mon bien-être, qui propose "un condensé des tendances du bien-être (déco thérapie, feng-shui, rangement, minimalisme…) pour un bien-être global chez soi". Chez First, Week-end paresseux, week-end heureux, paru le 1er mars, ne se revendique d’aucune école d’art de vivre en particulier, mais propose simplement de "réapprendre à ne (vraiment) rien faire pour se reconnecter à soi".

Flammarion développe depuis moins de deux ans une collection de livres de cuisine conçus dans une logique bien-être. "La question de l’art de vivre est décloisonnée. Les livres de cuisine doivent aussi proposer des recettes qui aident les lecteurs à aller mieux", décrypte Florence Lécuyer, directrice éditoriale du département grand public chez Flammarion. Après Bouddha bol ou Fléxicru, l’éditeur a ainsi publié le 2 avril Bye-bye maux de ventre. Chez Solar, Le livre des petites révolutions a séduit près de 10 000 lecteurs avec ses 250 rituels pour "prendre en main ses émotions et changer de vie", tandis que Miracle morning (First) a dépassé les 60 000 exemplaires en promouvant les bienfaits du réveil aux aurores.

Eloge du minimalisme

La thématique du rangement est plus particulière. Si elle n’est pas dominée par un concept clé comme c’est le cas du hygge pour l’art de vivre à la danoise, elle se caractérise par la domination écrasante de Marie Kondo. En France, l’auteure japonaise a écoulé 300 000 exemplaires de La magie du rangement (grand format et poche confondus) et son nom est quasiment devenu synonyme de minimalisme dans le monde entier. Le segment reste dynamique, et marqué par l’influence du Japon. Flammarion, notamment, s’appuie sur les nombreux ouvrages de Dominique Loreau. Sept ans avant Marie Kondo, cette auteure française, installée au Japon depuis la fin des années 1970, proposait déjà dans L’art de l’essentiel, paru en 2008, de "jeter l’inutile et le superflu pour faire de l’espace en soi". Dans son nouvel opus Eloge de la légèreté, annoncé pour début mai, elle s’attache cette fois à montrer que "se départir de tout ce qui encombre physiquement et psychologiquement peut faire du bien". Chez Guy Trédaniel, c’est encore un Japonais, Fumio Sasaki, qui a séduit près de 3 000 lecteurs avec L’essentiel, et rien d’autre.

Côté nouveautés, Flammarion annonce pour le 16 mai La vie en ordre de la Suédoise Margareta Magnusson, best-seller international déjà publié dans 28 pays. L’auteure, âgée de plus 80 ans, y explique pourquoi il vaut mieux nettoyer ses placards avant de mourir pour ne pas laisser ce fardeau à ses proches. Le rangement mortuaire, nec plus ultra du minimalisme?

Meilleures ventes: bien-être en intérieur

Et si le bonheur commençait par le cocooning dans une maison bien rangée. Avec respectivement 18 et 11 références dans notre classement GFK/Livres Hebdo des meilleures ventes "Art de vivre" en 2017, le hygge et les titres dédiés au rangement confirment l’engouement des lecteurs pour le bien-être en intérieur. La papesse du rangement et du minimalisme, la Japonaise Marie Kondo, offre à First la première place avec son best et long-seller La magie du rangement, dont on retrouve les déclinaisons aux formats poche et illustré aux 7e, 17e et 20e rangs. Côté hygge, c’est aussi First qui domine le classement avec Le livre du hygge. Mieux vivre : la méthode danoise (2e), devant un grand nombre de titres qui abordent le phénomène danois à travers un angle particulier. Boissons chaudes au coin du feu (Larousse, 4e), Jolis biscuits de Noël : inspiration hygge (Larousse, 12e) ou Tricotez-vous du bonheur (Mango, 33e) sont quelques-unes des illustrations d’une tendance majeure bien développée par les éditeurs, souvent sous la forme de coffrets. S’il n’est pas aussi puissant que le hygge, le lagom suédois réalise aussi une belle percée avec 5 ouvrages classés, parmi lesquels Le livre du lagom (toujours First, 14e). Fort de 6 références, le segment des plantes d’intérieur se distingue lui aussi par son dynamisme. Air terrarium (9e) et Coffret Green terrarium (11e), tous deux chez Marabout, se hissent même dans les hauteurs du classement.

Les dernières
actualités