29 AOÛT - PREMIER ROMAN France

Félicité Herzog- Photo JÉRÔME BONNET/GRASSET

Tout, dans cette histoire, repose sur des malentendus, des mensonges, des supercheries. Il y a d'abord le couple improbable des parents. La mère, Marie-Pierre, descendante de l'illustre lignée des Brissac alliée aux Schneider. Une brillante intellectuelle féministe en révolte contre son milieu, ses privilèges, qui a très mal vécu le naufrage de sa vie conjugale : très vite, son mari mène une double vie, s'affiche avec ses maîtresses. Cela se terminera par un divorce, en 1975. Deux enfants étaient nés de cette union contre-nature : Laurent, en 1965, et Félicité en 1968.

Le père, Maurice Herzog, c'est "un ogre". Un baroudeur, pas un intellectuel, qui connut son heure de gloire en 1950, lorsqu'il "vainquit" l'Annapurna. A partir de là, le héros aux mains et pieds gelés, qui s'est sacrifié pour hisser le drapeau français sur l'un des plus hauts sommets du monde, va devenir un mythe national, intégré par son ami Malraux à la geste gaullienne : célébré dans le monde entier, il fera partie de tous les gouvernements du Général, de 1958 à 1966. Pour éviter ses gaffes et ses frasques, il est même "pris en mains » par Tante Yvonne en personne !

On sait maintenant, et Félicité Herzog le confirme, que cette gloire, sur laquelle le "grand homme" a vécu jusqu'à sa mort, était largement usurpée, et que l'exploit a été quelque peu bidonné. Le héros, en fait, a joué perso, risquant ainsi la vie de ses compagnons, et s'est fait photographier un peu avant le sommet de l'Annapurna, qu'il n'a jamais atteint ! "Quelque chose en lui n'était pas vrai", écrit, de son père, Félicité. Ces mots terribles ont dû lui coûter, mais reflètent son sentiment profond. On sent qu'elle lui en veut encore.

Plus que d'avoir abandonné sa famille, Félicité reproche surtout à Maurice d'avoir saccagé la vie de son fils aîné, Laurent. Dès le début, le malheureux se voit chargé d'un fardeau redoutable : la gloire de son père, qu'il ne doit en aucun cas décevoir. C'était trop de pression sur des épaules et une tête bien fragiles. Laurent part en vrille, devient violent, paranoïaque, délirant en proie à des transports mystiques, et frappe sa soeur qu'il manque même de tuer. Après plusieurs séjours discrets dans des hôpitaux psychiatriques, il finira sa triste existence en 1999, dans l'un des châteaux des grands-parents Brissac. C'est là, alors qu'elle y revient dix ans après pour le vendre, que tous ses souvenirs douloureux ont resurgi, et que, peut-être, Félicité a décidé d'écrire cette histoire qu'elle avait auparavant tenté de fuir, sinon d'oublier : elle est partie faire sa vie aux Etats-Unis, analyste financier chez Lazard.

Félicité Herzog n'a pas été heureuse, et son père n'était pas un héros. Triste constat. L'exorcisme, comme souvent, passait par l'écriture. Elle en a donc fait un livre qui n'est pas un règlement de comptes, plutôt une démythification. Les pages consacrées à Laurent sont émouvantes et tendres, celles sur la saga de la famille maternelle inouïes. C'est un premier roman réussi, prometteur. Et que Félicité Herzog n'hésite pas à fouiller dans tous ses greniers, où dorment tant de personnages romanesques, avec tous leurs secrets...

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