Des auteurs chinois de manhua (bande dessinée), on a coutume de dire qu’ils sont des dessinateurs virtuoses, mais souvent de piètres scénaristes. Avec Entre chien et loup, un recueil d’histoires fantastiques dans la campagne chinoise, Zuo Ma, de son vrai nom Zou Jian, né en 1983 dans le Hubei, une province du nord de la Chine, dément l’idée reçue. Travaillant visiblement à partir de ses propres observations et souvenirs d’enfance, ce storyboarder pour de grandes sociétés chinoises, très influencé conceptuellement comme graphiquement par les dessinateurs japonais rassemblés dans les années 1970 autour de la revue Garo, dont en particulier Yoshiharu Tsuge, cisèle douze nouvelles à la fois très ancrées dans le réel et imprégnées d’étrangeté.
Dans la première, "Iwana-bozu: le poisson monstrueux", un jeune garçon chasse le scarabée à l’aide d’un filet à papillons, salive devant un poisson pêché par son père, l’accompagne à la rivière où il croise son frère punk, retrouve dans les entrailles d’un poisson les œufs en chocolat qu’il a offerts à une mystérieuse fillette… Le fantastique s’invite dans le quotidien le plus banal, au même titre que les défis environnementaux, car la pollution menace.
Le garçonnet revient dans "Les feux d’artifice", où la fête est l’occasion de joies simples comme le révélateur de toutes les mélancolies. Dans "L’homme-chat", le projet très concret de l’artiste de devenir dessinateur de bande dessinée est interrogé par le parcours accidenté de ses deux chats, un noir et un roux, et par l’apparition d’un curieux "chat-chien". Dans chacun de ses récits, Zuo Ma met en scène des personnages s’interrogeant sur leur identité dans une Chine profonde perturbée par des mutations subtiles, mais majeures. Fabrice Piault