Cosme K. est un très jeune homme qui semble arriver de nulle part, marcher au hasard, sans destination. On ne sait pas ce qu'il cherche, on va mettre tout le temps du roman à savoir ce qu'il a fui. Pourquoi est-il parti une nuit sans se retourner, abandonnant son jeune frère ? Quels souvenirs hantent ses cauchemars, les cris qui agitent son sommeil. Il émane de lui une « lumière qui agissait comme un aimant sur ceux qui croisaient sa route ». Cet « ange blond » dégage une forme d'innocence qui le protège et donne envie aux autres de l'aimer. Parfois de le retenir. Mais rien ni personne n'y parvient : c'est un garçon de passage, facile et secret, que ses hôtes voient comme un messager et qui marque de son empreinte ceux dont il partage la vie pendant quelques mois, quelques semaines. C'est ce que découvre son jeune frère Ayden, quand, dix ans après qu'il a quitté leur maison dans l'ouest de la France et leur verger de pommiers, et avec pour tout guide quelques cartes postales adressées à un mystérieux Kane, il piste le voyageur jusqu'en Asie du Sud-Est.
A la Norvégienne Maïken, la très jeune veuve, éleveuse de brebis qui l'accueille dans sa ferme isolée, sur l'île d'Andoya dans l'archipel de Vesteralen, dans le cercle polaire arctique, Cosme K. confie seulement « je ne cherche pas les palpitations de l'aventure mais uniquement l'apaisement de l'exil ». Là, il accompagnera les touristes l'été pendant la saison des safaris de baleines. En Sibérie orientale, il rencontrera Olga, Svetlana et Irina, trois générations d'une même famille installée dans la baie de Kreytoskaïa sur la rive est du Lac Baïkal, construira des cabanes en bois. Plus tard, à Singapour, bien loin des landes battues par les vents et des berges désertes, dans une ville saturée de modernité, il croisera le chemin d'une famille d'expatriés français et de Shu Fang leur jeune « maid » philippine.
Si le deuxième roman de Philippe Gerin, après Du haut de la décharge sauvage(Les Nouveaux Auteurs, 2013), porte la marque des voyages de son auteur, de son attraction pour les bouts de monde,Les voyages de Cosme K.est moins un récit de voyage qu'un élégiaque conte initiatique : l'itinéraire du jeune homme est parsemé de signes, d'énigmes à déchiffrer qui donnent la direction à suivre, de missions et de promesses à honorer, de personnages habités de sentiments océaniques, façonnés par leur géographie, l'attachement qu'ils portent aux esprits des lieux mais aussi habités par la mélancolie des confins. Certains n'arrivent pas à supporter la solitude des grands espaces, « le décor somptueux et solennel qui les étreignait et les écrasait tout à la fois », et s'enfuient. Ceux qui restent deviennent des sentinelles dont les voix intérieures sont pleines de pressentiments. De la prescience de l'impermanence, de la fin. L'errance de Cosme K., la traque de son frère dans ses pas interrogent les traces, celles que l'on laisse, celles qui s'effacent ou se perdent. « Aucune trace n'est éternelle. Rien n'est immuable, l'oubli est le seul rempart », pense le jeune homme. Mais la fidélité aux liens et le passé obsédant rendent impossible l'oubli. Aussi loin qu'il aille, la culpabilité le rattrape. Seule la conscience d'« être dans la beauté » peut apporter « la paix intérieure ». « C'est ce que disent les chamanes », affirme Olga la Russe, dans sa datcha remplie de reliques et de secrets. Mais là aussi, la mélancolie qui irrigue ce roman plein d'âmes tourmentées et ouvert sur « les grands vents et les nuages dévoreurs » naît de l'intuition que la beauté du monde est en sursis.
Les voyages de Cosme K.
Gaïa
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20 euros ; 288 p.
ISBN: 9782847208696