« Rien de plus ennuyeux que le récit d’un rêve », prétend Maryline Desbiolles dans les premières lignes de Ceux qui reviennent. Pourtant, comme dans les rêves, ses livres vont par associations, guidés de proche en proche par la libre loi du désir. Ils sautent de table en table (La scène, 2010) ou, comme ici, de tombe en tombe, l’écrivaine affiliant les noms des morts. De la tombe de son père dans un cimetière de l’arrière-pays niçois à celle, voisine, de Gabriel Benevento (1928-1998), dit Gaby, maire communiste de la commune, né en Savoie, fils d’une des nombreuses filles Bertaina. Un cousin éloigné, parentèle découverte tardivement, reliée à René, le frère aîné de la mère de Maryline Desbiolles, qui avait épousé Odette, la seule de cette fameuse « guirlande des filles Bertaina » qui n’était pas blonde. L’oncle René, donc, né Renato à Turin, « René trompe-la-mort » chevauchant sa moto et les grues de chantier dans les vallées savoyardes.
D’Ugine, où elle est née, aux Alpes maritimes, où elle vit depuis plusieurs décennies, Maryline Desbiolles éclaire l’écheveau de sa généalogie : un père qui au blanc de la neige et du lait des montagnes a préféré « le blanc plus abstrait de la lumière, le blanc intouchable, aveuglant, terrible, de la lumière du Sud », un grand-père maternel arrivé jeune homme en France de Toscane après la Première Guerre mondiale. Une famille de petites gens, modestes oiseaux migrateurs, pris entre deux feux une guerre plus loin.
On se perd un peu dans ces lignées complexes, ramifiées par alliances et mésalliances, d’un versant à l’autre des Alpes, mais se perdre avec Maryline Desbiolles fait partie de la promenade en compagnie des fantômes. Car pas plus que les autres ce livre ne cherche à reconstituer un arbre généalogique. Il allume une « constellation, petites bougies des morts ». Il a l’air de faire plein de détours, suspend ses pas pour observer un vol de grues cendrées, les mimosas en fleur, sentir le vent, mais il résonne en boucle sans fin avec tous les autres livres de l’écrivaine, dont le Vallotton est inadmissible dans lequel la lumière du peintre scintille aux côtés de celle de tous ses autres chers revenants. Véronique Rossignol