Bibliothèques

Congrès de l'Ifla : inspirantes, dynamisantes

V. HEURTEMATTE

Congrès de l'Ifla : inspirantes, dynamisantes

Lors de la 78e assemblée de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires (Ifla) à Helsinki du 11 au 17 août, les 3 000 participants ont réaffirmé le rôle central de leurs établissements dans la démocratisation de l'accès à l'information, ainsi que nous le confirme Ingrid Parent, présidente de l'Ifla, dans l'entretien qu'elle nous a accordé.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 10.10.2014 à 15h40 ,
Mis à jour le 16.10.2014 à 15h16

Les bibliothèques sont inspirantes, surprenantes, dynamisantes ; en fournissant librement à tous les citoyens l'accès à de vastes collections imprimées et numériques, à Internet, ainsi qu'à de nombreuses activités éducatives, culturelles ou de loisirs, elles occupent au sein de la société une place unique et irremplaçable : c'est un message résolument positif qu'a délivré à ses quelque 3 000 participants le 78e congrès de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires rassemblé à Helsinki, en Finlande, du 11 au 17 août. La maîtrise des connaissances est devenue un enjeu politique et de société primordial. Thème privilégié de l'actuelle présidente de l'Ifla, Ingrid Parent, le rôle des bibliothèques comme outil de démocratisation de l'accès à l'information a occupé une place centrale dans les échanges. Il faut que les établissements aient les moyens de mener à bien leurs missions, ont réaffirmé les intervenants. La crise économique, aux conséquences pourtant dramatiques pour la lecture publique dans plusieurs pays, était régulièrement rappelée en toile de fond sans constituer un sujet à part entière. Il a été en revanche beaucoup question des conditions d'acquisition des ressources, en particulier numériques. L'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les professionnels en ce moment est le refus de certains éditeurs de prêter leurs livres numériques aux bibliothèques (ou seulement sous des conditions très restrictives), de même que le coût exponentiel des licences. "Ne croyez pas les bobards des éditeurs qui disent que le prêt d'ebooks va les ruiner, a affirmé, un peu provocatrice, Anna Troberg, présidente du Parti pirate suédois. C'était le même discours avec le livre à l'époque de l'ouverture de la première bibliothèque publique." La situation est cependant plus complexe aujourd'hui. Un participant évoquait en aparté le cas, certes exceptionnel, de la bibliothèque de Hambourg qui prête ses livres numériques à distance à tout le monde, et pas seulement à ses lecteurs inscrits, justifiant ainsi les pires craintes des éditeurs. Le développement des archives ouvertes est un autre aspect stratégique dans l'accroissement de l'accès aux ressources documentaires. Plusieurs bibliothèques nationales sont venues témoigner des initiatives qu'elles mènent sur cette question. La BN d'Ecosse, par exemple, envisage de publier certaines de ses données sous licence libre (Creative Commons) et a rendu accessible une partie de ses collections numérisées (photos, manuscrits, films) sur Flickr et YouTube pour en accroître l'audience.

L'essor des services nomades. Les bibliothèques sont de plus en plus connectées, et sont à même de faire jeu égal avec les moteurs de recherche et autres opérateurs privés du Web dans le monde de l'information virtuelle : c'est un autre des messages forts rappelés pendant le congrès. Les services numériques, et notamment les applications pour outils nomades, en pleine expansion, ont occupé une large part des communications. Le réseau des bibliothèques publiques d'Helsinki a ainsi présenté son application pour smartphones, très interactive : les usagers peuvent prolonger leurs emprunts, consulter le catalogue et leur compte, faire une réservation, et même emprunter un document directement à un autre usager. La bibliothèque nationale de Norvège poursuit de son côté son programme de développement de services mobiles qui permettra notamment de visionner des expositions virtuelles, de faire une recherche en texte libre, ou encore de faire une recherche par la voix, une manière de plus en plus fréquente d'utiliser son smartphone.

Plus de visibilité. Malgré leurs efforts, les bibliothèques continuent de souffrir d'un manque de visibilité chronique auprès du public, comme auprès des décideurs. L'Ifla a donc fait du renforcement des associations nationales l'un de ses chevaux de bataille. Lancé en 2010 et achevé cette année, le programme "Building strong libraries associations" a prouvé son efficacité. Pendant deux ans, les associations de 6 pays (Botswana, Cameroun, Liban, Lituanie, Pérou et Ukraine) ont bénéficié d'un package de formations sur place et en ligne pour renforcer leur présence dans les milieux professionnels et leur rôle d'interlocuteur auprès des politiques. L'Ifla lance également cette année un programme destiné aux leaders nationaux. Ces professionnels déjà très investis dans la défense des bibliothèques dans leur pays recevront de la part de l'Ifla une formation et se verront confier des dossiers comme le droit d'auteur, qu'ils devront défendre sur le plan international. "Les bibliothèques doivent travailler avec des partenaires extérieurs, que ce soit au niveau national ou international, a confié Ingrid Parent dans son entretien à Livres Hebdo (voir p. 20). C'est la condition indispensable pour construire des bibliothèques fortes et reconnues."

Ingrid Parent, présidente de l'Ifla : "Les bibliothèques sont les mieux placées pour donner l'accès à l'information pour tous"

Livres Hebdo - Le thème de votre mandat est "Les bibliothèques, une force pour le changement". Or, bien souvent, les bibliothèques ne sont toujours pas perçues comme des lieux innovants. Pourquoi ?

Ingrid Parent- Photo PHOTO V. HEURTEMATTE

Ingrid Parent - Les changements technologiques et sociétaux de ces dernières années, de même que la crise économique, ont fait perdre aux bibliothèques de leur force et de leur visibilité. Elles sont pourtant les mieux placées pour donner accès à l'information, mais aussi pour interpréter et traiter cette information. On estime que les bibliothèques disposent de 80 % des ressources sur un sujet, alors que les moteurs de recherche ne donnent accès qu'à 20 % de ces données. Le lieu lui-même reste important. Je viens du monde universitaire et je constate que, même si les étudiants n'empruntent plus beaucoup, ils continuent de venir à la bibliothèque pour étudier dans un environnement stable et pour se retrouver à plusieurs. En Amérique du Nord, il y a en effet actuellement une forte tendance à l'apprentissage collectif et non plus individuel.

L'accès à l'information est actuellement remis en cause par le refus de certains éditeurs de fournir leurs ebooks aux bibliothèques. Quelle est la position de l'Ifla sur ce sujet ?

Nous pensons que c'est une question urgente. Il faut d'abord bien comprendre les facteurs et les enjeux, mais nous manquons de données et de statistiques précises sur le prêt des livres numériques. Nous allons lancer à l'automne, grâce à une subvention de l'Open Society Foundation, une enquête menée par des experts. Nous nous appuierons sur leur travail pour prendre des mesures concrètes allant au-delà de l'énoncé de principe sur le e-lending déjà rédigé par l'Ifla et qui est à la disposition de tous les professionnels qui sont face à cette question dans leurs pays respectifs. Actuellement, les éditeurs fonctionnent par licences signées établissement par établissement, sans que l'on connaisse le contenu de ce qui a été négocié. C'est ainsi que procédait Google quand il a lancé ses grands programmes de numérisation en partenariat avec les bibliothèques. Nous, nous voulons un cadre de référence minimale et des contrats types pour harmoniser les conditions de prêt des livres numériques dans les bibliothèques, que ce soit aux Etats-Unis, au Canada, en France ou ailleurs.

L'Ifla est active au niveau international en ce qui concerne plus globalement le droit d'auteur et les bibliothèques. Y a-t-il eu des avancées récentes sur ces questions ?

Notre priorité, actuellement, ce sont les actions de lobbying que nous menons auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle pour faire reconnaître des exceptions au droit d'auteur pour les bibliothèques et les archives. En novembre dernier, après des années d'efforts, le sujet s'est trouvé inscrit à l'ordre du jour de la réunion de l'OMPI qui rassemblait les délégués de 180 pays. C'était la première fois que les bibliothèques obtenaient une visibilité à un tel niveau de décision. Les délégués étaient très au courant des problématiques des bibliothèques, grâce au bon travail d'information mené dans chaque pays par les associations nationales. C'est très encourageant, même si je pense qu'il faudra encore plusieurs années pour obtenir un consensus sur le plan international.


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