Les arts de l'imprévu. « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ». Ce poème publié en 1897 a été maintes fois commenté. Mallarmé exprimait l'idée qu'on ne pouvait réduire le az-zahr - le dé à jouer en arabe - même par les probabilités. Cette fascination infinie se manifeste parfaitement dans l'enquête collective sur l'imaginaire artistique et littéraire du hasard dirigée par Anne Duprat (université de Picardie Jules Verne). Ce copieux travail explore les représentations, y compris cinématographiques, de cette notion complexe. Car parle-t-on de la même chose lorsqu'on emploie les mots « hasard », « chance », « risque » ou « imprévu » ? Pas sûr. Aussi, pour circonscrire une idée aussi fugace, l'approche subjective reste la plus efficace. « La fiction littéraire traduit directement le programme esthétique et épistémologique du terme de hasard, tel qu'il apparaît à la fin du Moyen Âge en Occident », assure Anne Duprat.

Le hasard, c'est finalement ce qui nous arrive. En somme, c'est le présent ! Vouloir l'expliquer par le passé est une illusion. Quant à l'avenir, qu'en dire alors que les dés n'ont même pas été lancés. Anne Duprat a raison : on montre des exemples du hasard et non le hasard lui-même, comme on ne montre que des manifestations de l'amour et non l'amour en soi. Les preuves du hasard, ce sont les faits. Ils apparaissent ici comme une construction plus culturelle que scientifique, à travers les grands auteurs ou les jeux de l'Oulipo. C'est au fond le but de cette étude. De « l'homme précaire » de Malraux au « hasard objectif » de Breton, il s'agit de la même capacité de se projeter dans l'imprévisible. Et celui qui fait le mieux le lien entre la nature et la culture, c'est Pascal, l'écrivain, le philosophe, le théologien et le mathématicien.

En circulant dans ces contributions savantes, parfois même très pointues, on déniche des richesses insoupçonnées et on comprend mieux pourquoi le hasard a exercé un charme extrême, parfois jusqu'au morbide. Comme dans ce livre écrit sur une planchette de bois, dans une cellule de la prison de la Santé, intitulé Le hasard vaincu, avant que son auteur, le tueur en série Marcel Petiot, ne soit guillotiné en 1946.