Forces intimes. Comment penser la rencontre amoureuse comme un événement propice à l'affirmation de son propre désir ? Dans la lignée des différentes réflexions qui se dégagent aujourd'hui autour du consentement, la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil (autrice de Céder n'est pas consentir, PUF, 2021 et de L'ère du toxique, PUF, 2023), prend pour point de départ la formule lacanienne « ne pas céder sur son désir », pensée comme une « métamorphose du consentement en principe actif ». Loin des considérations qui envisagent la jouissance et l'imposture comme des actes de désobéissance, La déprise analyse comment le consentement à l'événement amoureux s'inscrit « dans une temporalité du sujet qui engagera aussi l'histoire de son être, et surtout les failles de cette histoire ». Il s'agit de situer et d'assumer son désir dans une quête de pulsion de vie et ainsi de rompre avec l'effacement de soi qui conduit à son inverse destructeur. L'autrice développe le magnifique exemple d'Antigone - que l'on pourrait pourtant associer à cette dernière catégorie mortifère - présentée ici comme l'actrice d'une désobéissance lui permettant de ne pas céder sur son désir quitte à lutter contre le pouvoir en place et à s'exposer à une fin tragique. Par ailleurs, la philosophe analyse aussi la rencontre amoureuse entre Winston et Julia dans le roman 1984 d'Orwell. Dans ses mots, cette rencontre devient une transgression, une entorse au diktat, qui rend possible un espace de liberté, l'espoir d'une reprise du libre arbitre.
Ce que propose Clotilde Leguil dans cet essai passionnant qui entremêle les références littéraires, philosophiques et psychanalytiques, c'est de trouver le pouvoir de choisir, après le moment de la rencontre, de « donner une certaine couleur, une certaine sonorité, une certaine finalité à l'événement lui-même », de ne pas se laisser aspirer, de ne pas laisser effacer son désir par celui de l'autre ni par les fantasmes d'une histoire qui commence. « Il relève du courage de faire advenir le désir en ne cédant pas aux obscures injonctions à le sacrifier. » À l'heure où l'on parle de la fin de l'amour (Eva Illouz) ou de sa réinvention (Mona Chollet), Clotilde Leguil invite à penser aux manières de se reprendre et de se déprendre, par la parole et par les actes, de toute emprise qui éloignerait le sujet de son propre désir.
La déprise. Essai sur les ressorts intimes de la désobéissance
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 € ; 164 p.
ISBN: 9782021576313