Certains ont peut-être encore en tête les ambitions affichées par les dirigeants de Chapitre au cours de la seconde moitié des années 2000 : faire de l’enseigne le numéro un du livre en France, devant la Fnac ! Autant dire qu’aujourd’hui la chute est rude même si, ces dernières années, de plus en plus de professionnels la voyaient venir. « Depuis trois ans, le chiffre d’affaires réalisé par le réseau recule, les opérations proposées par les éditeurs ne sont plus relayées, les équipes en librairies sont démotivées », rappelle Hélène de Laportalière, directrice commerciale de la Sodis. Comme beaucoup de ses confrères, elle estime que « la grande erreur de Chapitre est d’avoir voulu imposer une centralisation des achats à un ensemble de librairies hétérogènes ».
Manque de moyens
Soulignant le manque de moyens apportés par le fonds d’investissement Najafi Companies, propriétaire de Chapitre depuis 2011, Vincent Montagne, P-DG de Média-Participations et président du Syndicat national de l’édition, estime lui aussi que « la stratégie de centralisation était une fausse bonne idée. Non seulement elle s’appuie sur une structure de 100 personnes, ce qui n’est économiquement pas raisonnable, mais encore elle va à l’encontre de la diversité éditoriale sur laquelle repose le commerce du livre ».Au sein de Chapitre, François-Régis Sirjacq, qui reprend la librairie rennaise, se souvient pourtant qu’au moment de la reprise du réseau par Bertelsmann, l’idée de mutualiser les ressources et les outils avait suscité en interne une certaine adhésion. Toutefois, le contrat de confiance a vite été rompu entre la direction et les équipes des magasins. La mise en place, dès 2008, d’un plan de sauvegarde de l’emploi « a cassé l’ambiance dans les librairies ». Mais surtout, les vendeurs ont mal supporté la pression exercée pour leur imposer l’utilisation de certains outils, comme le logiciel Interférences et la plateforme logistique Loglibris, dont les dysfonctionnements avaient pourtant été préalablement pointés par les magasins pilotes. D’où une succession de départs parmi les responsables de magasins emblématiques : Pascal Salet à Brive, Jean Fèvre à Lyon, Sylvie Champagne à Orléans, Isabelle Desesquelles à Toulouse…
Parti en 2007, Pascal Salet (aujourd’hui à la tête de Siloë à Nancy) fait remonter les problèmes des librairies à leur rachat en 2005 par Bertelsmann. Sous la direction de Jörg Hagen, qui n’a pas souhaité s’exprimer, les librairies rassemblées dans DirectGroup France puis dans Actissia passent d’une logique de réseau à une logique de chaîne. « On est allé trop loin dans la rationalisation et on a cassé la dynamique des magasins, explique-t-il. Sous la direction de François d’Esneval, seules certaines fonctions, administratives ou de communication, étaient centralisées autour d’une structure légère constituée en GIE, et cela fonctionnait très bien car les librairies restaient autonomes. »
Pourtant, à l’époque déjà, le réseau, baptisé Privat, posait question. La politique de développement qui l’avait conduit à racheter des établissements, certes leaders dans leur ville mais parfois confrontés à des difficultés financières, l’avait fragilisé. Et le manque de vision d’ensemble avait conduit le réseau à n’être qu’une addition de librairies sans lien entre elles.
Issue d’une longue histoire, l’agonie actuelle du réseau est, on le voit, plus complexe qu’il n’y paraît. Elle est surtout, selon le Syndicat de la librairie française (SLF), le témoignage, après la disparition de Virgin, « de l’échec des stratégies de rationalisation à l’excès, incompatibles avec la réalité du métier de libraire et avec les attentes des lecteurs ».
C. N.