Ne l'appelez plus jamais « musée du Congo belge », ni même « musée royal d'Afrique centrale », dites seulement désormais, puisqu'en Occident on a parfois des pudeurs de gazelles pour un passé qui ne passe pas, « AfricaMuseum ». La belle affaire (de sémantique). Ce dont il est question, c'est au cœur d'une forêt flamande, un vaste domaine, le château de Tervuren, où sont exposées les très riches (au sens premier du terme), sanglantes et désastreuses heures de l'épopée coloniale du royaume d'outre-Quiévrain au Congo.
C'est là, dans cet endroit comme hors du monde et du temps, relégué dans un corridor de la mémoire par la honte de ses promoteurs initiaux, que Christophe Boltanski a choisi de passer une nuit pour les besoins de la toujours très passionnante collection « Une nuit au musée ». Précisons d'emblée qu'il n'est pas illogique que l'auteur du magnifique La cache (Stock, 2015, prix Femina) se soit soumis à cette réclusion volontaire...
Volontaire, mais pas solitaire. L'écrivain y séjourne entouré des ombres de ceux qui, soldats perdus du rêve fou impérial du roi Léopold II, participèrent - par le crime plus souvent qu'à leur tour - à son édification. Une famille d'aristocrates flamands, en particulier, retient son attention : les Boekhat, dont plusieurs membres à travers les générations se signalèrent par leur intérêt et leur dynamisme porté à la cause coloniale... L'un d'entre eux, grand chasseur devant l'éternel, épigone possible du Kurtz d'Au cœur des ténèbres de Conrad, abattit un jour l'immense éléphant issu du pays Kasaï dont la dépouille empaillée est en quelque sorte la pièce maîtresse du musée et sous le regard duquel l'écrivain entreprend malaisément de s'accorder quelques heures de sommeil... Et face à ce désastre surgi du fond des âges, Boltanski avoue : « Je ne peux pas m'empêcher de lui trouver une vague ressemblance, quelques communes destinées. Au fond, j'appartiens moi aussi à un monde sinon disparu, du moins déclinant. » Ce monde, c'est aussi celui de Tintin au Congo et de l'intrépide personnage qui offrit en quelque sorte au jeune Boltanski fasciné, un métier, reporter, en même temps qu'un destin. Tout se mélange ici en des teintes douces-amères où souvenir et culpabilité mènent la danse. Cette nuit génère des cauchemars, mais des cauchemars magnifiques.
King Kasaï
Stock
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 18,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782234091337