Rentrée littéraire 2021

Catherine Cusset, «La définition du bonheur» (Gallimard) : Une vie d'araignée

Catherine Cusset - Photo © Francesca Mantovani

Catherine Cusset, «La définition du bonheur» (Gallimard) : Une vie d'araignée

Au travers d'un double récit, Catherine Cusset tisse les trajectoires de deux femmes nées dans les années 1960. Tirage à 40000 exemplaires.

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Par Véronique Rossignol,
Créé le 19.07.2021 à 20h14

Clarisse et Ève. Dans le prologue, en janvier 2021, la seconde vient d'assister à l'enterrement de la première dans le carré juif d'un cimetière de la banlieue parisienne. Elle s'apprête à repartir avec son mari à New York où elle vit depuis plusieurs décennies, emportant avec elle une clé USB remise par le fils de la défunte. Quelle est la nature du lien entre ces deux femmes quinquagénaires, nées à neuf mois d'intervalle en 1963 à Paris ? On ne l'apprendra qu'au dernier tiers du livre. Auparavant, Catherine Cusset aura remonté le temps, s'arrêtant sur quelques dates marquantes du parcours, pour retracer en vis-à-vis puis entrecroiser deux trajectoires longtemps parallèles. La définition du bonheur, c'est au moins deux livres en un : celui de la disparue, « le roman de Clarisse », et « le récit d'Ève », écrit à la première personne, qui prend le relais et achève la mise en forme de leur histoire. Après deux hommes - l'ami suicidé dans L'autre qu'on adorait et le peintre anglais David Hockney -, l'écrivaine place cette fois-ci en miroir deux femmes qui incarnent à la fois une génération, une époque et deux façons singulières et bien différentes de traverser la vie, de l'adolescence à la maturité. Clarisse est une fille unique élevée seule par sa mère, une amoureuse souvent trahie qui sera mère très jeune de trois garçons. Ève, née avant trois frères, s'épanouira dans un mariage au long cours, aura deux filles dans sa trentaine. À l'une - marquée par un événement traumatique l'été de ses 16 ans -, la vie de bohème chaotique, les amours contraires, l'errance professionnelle, la fatalité de la répétition, la culpabilité. À l'autre - devenue traiteur à domicile après des brillantes études de lettres classiques -, l'équilibre d'une vie bourgeoise d'expatriée, les choix raisonnables. Mais tout n'est pas si simplement réparti et ces deux vies ont leur lot commun de drames, d'épreuves, de doutes, d'égarements. Ce qui les distingue plus que tout est sans doute leur conception du bonheur : celui « dans la durée et la continuité » d'Ève, « dans le fragment, sous forme de pépite » de Clarisse.

Famille, désir, couple, maternité, vieillissement... on retrouve Catherine Cusset telle qu'on l'aime, regardant sans apitoiement ses personnages arbitrer leurs dilemmes et leurs contradictions. Mais comme Ève, qui lui ressemble de loin, la romancière porte son admiration vers Clarisse, femme « aimable, et libre », comparée à Arachné, la jeune tisseuse rebelle de la mythologie transformée en araignée par Athéna. Celle qui avec soin et vaillance a fait de sa toile l'œuvre d'art de sa vie.

Catherine Cusset
La définition du bonheur
Gallimard
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 20 € ; 352 p.
ISBN: 9782072950377

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