Le gothique, on voit ce que c’est. Les flèches, les ogives, les rosaces, cet art des cathédrales qui a taillé la pierre en dentelle et l’a fuselée à des hauteurs vertigineuses. Mais avant le XIIIe siècle, comment qualifier cette architecture qui commence à éclore à la fin de l’époque carolingienne ? Dans les années 1820-1830, elle est identifiée par les historiens de l’art comme un "art romain tardif", plutôt que d’origine germanique, à savoir gothique. On lui donnera le nom de "roman".
C’est aux églises de cette période et au décor sculpté de leurs façades que Michel Pastoureau consacre un beau livre, Tympans et portails romans. Comme à son habitude, l’auteur de L’art héraldique au Moyen Age (Seuil, 2009), noble vulgarisateur devant l’Eternel, se penche sur un sujet pointu et le rend fascinant. Un schéma et un glossaire en fin d’ouvrage nous permettent de visualiser et de nommer les éléments du portail roman : le tympan, cet espace au-dessus de l’entrée, soutenu par la pierre rectangulaire et horizontale, le linteau ; le trumeau, pilier central soutenant à son tour le linteau et divisant en deux l’accès à l’église.
Moissac, église Saint-Pierre ; Conques, église Sainte-Foy ; Vézelay, basilique Sainte-Marie-Madeleine ; Arles, cathédrale Sainte-Trophime… Neuf églises comme autant d’études de cas. Ces images de pierre illustrent les épisodes de la Bible, notamment le Jugement dernier ou le Christ en gloire. La fonction didactique est évidente et la floraison de l’art roman au sud et au centre de la France aux XIe et XIIe siècles correspond bien à la reprise en main de la hiérarchie ecclésiale par le pape Grégoire VII (1073-1085). Pour le pontife réformateur, il est urgent de remettre l’Eglise sur le droit chemin : condamner la simonie, le trafic des biens spirituels, et imposer le célibat des prêtres, encourager la voie du monastère. L’architecture romane est liée aux ordres monastiques, c’est un art d’"artisans guidés par des moines", selon le spécialiste de l’art religieux médiéval Emile Mâle (1862-1954). Christ, anges, évangélistes, saints, d’un côté, le diable, démons, dragons, de l’autre. Ainsi se développe une iconographie de la lutte du Bien contre le Mal. Sont représentés les vertus comme les péchés : au tympan de Conques, la luxure est une femme nue dont des serpents tètent les seins et dont des crapauds mangent le sexe. Les supplices de l’Enfer sont atroces : métaux en fusion versés dans la bouche des monnayeurs et des usuriers. Pour Dieu aussi, la finance, c’est l’ennemi. Sean J. Rose