L’annonce, voici un mois, de la disparition soudaine de Philip Kerr a permis tristement d’évaluer quelle place essentielle l’auteur écossais de La trilogie berlinoise (Le Masque, 2008) tenait dans la galaxie du roman noir et ce, au niveau mondial. Ses livres, notamment ceux mettant en scène l’Allemagne nazie vue à travers les yeux de son personnage fétiche, Bernie Gunther - un policier antinazi que les circonstances et un goût certain pour la survie amèneront à devenir un officier SS -, d’un classicisme enchanteur, devaient beaucoup à ses maîtres, Chandler ou Hammett. L’écrivain disparaît alors que paraît en France Bleu de Prusse, la douzième aventure de Gunther, saluée à sa sortie dans la presse anglo-saxonne comme l’une des plus abouties.
On avait laissé Bernie Gunther à la fin du déjà très réussi Les pièges de l’exil (Seuil, 2017), sur la Côte d’Azur de l’après-guerre, concierge d’hôtel et plus désabusé que jamais entre fréquentation de femme fatale, de Somerset Maugham et de nids d’espions. C’est à peu près là, dans cet état d’esprit au moins, qu’on le retrouve, attablé à l’hôtel Ruhl de Nice auprès du redoutable général Mielke, chef de la Stasi, service de renseignements de la RDA. La mission que celui-ci confie à Gunther est de celles qu’on ne peut refuser dans l’instant, pour mieux songer à comment s’y soustraire le moment venu. Cela amènera en tout cas Bernie, traqué par tous, à quitter la France (sans trop de regrets par ailleurs, tant celle-ci lui paraît lénifiante...) pour revenir vers le pays natal, cette Allemagne qui lui est à la fois un refuge et un destin. Ce sera l’occasion de revenir dix-sept ans en arrière, en 1939, lorsque, à la demande d’Heydrich, Gunther dut résoudre un crime particulièrement scabreux commis dans le nid d’aigle d’Hitler, placé sous la supervision de Martin Bormann.
Philip Kerr mène son affaire, à la manière de son héros, avec une fluidité et une mélancolie plus grande que jamais, comme s’il avait la prescience que ce tour de piste serait pour Bernie et pour lui le dernier. Quoi qu’il en soit, il a réussi sa sortie. Olivier Mony