L'art de la fugue. À la fin de son album illustré superbement et avec pertinence, Benoît Heimermann, modeste, confie au lecteur n'être « ni un expert en histoire ni un spécialiste en littérature », mais un simple admirateur de Blaise Cendrars (1887-1961), sa vie, son œuvre, désireux de partager son « enthousiasme » avec le plus grand nombre. Pari gagné. Cela dit, avec le populaire auteur de La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, le risque était minime. Ainsi qu'en témoignent les bibliographies, l'homme à la « sale gueule » (c'est lui qui se revendiquait ainsi), le voyou manchot graphomane, le mythomane cyclothymique, suscite depuis longtemps une abondante littérature.
En revanche, la vraie gageure du projet de Benoît Heimermann, biographe des sportifs et des aventuriers, et éditeur d'écrivains voyageurs chez Stock, c'était de raconter la vie de quelqu'un qui l'a largement imaginée, qui se fichait de la réalité, et qui revendiquait pour lui-même, écrivain, la plus absolue liberté. À commencer par celle de s'inventer une identité : Blaise Cendrars (qui viendrait de « braise » et de « cendres »), dès 1912 en signature d'un de ses premiers poèmes, plutôt que le terne Frédéric Sauser, né en 1887 à La Chaux-de-Fonds dans le Jura suisse. Un mal aimé, pour qui il était vital de fuir son milieu, sa famille chaotique et mal-aimante. Alors il a fugué, bourlingué, fait tous les métiers, tout exploré, tout raconté. Peu importe la vérité, face à un tel torrent littéraire. Benoît Heimermann tente d'en retracer le cours, et il s'en sort avec style.
Blaise Cendrars. Le démon du voyage
Paulsen
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 39,90 € ; 204 p.
ISBN: 9782375024607