Une année à habiter un studio presque vide, avec vue sur tombes, « un vis-à-vis qui crève les yeux », donne matière à penser. Au sens de la vie et à la place des morts. A la société et à la transcendance. A notre absurde condition et à notre monde sans boussole. A la terre et au ciel. Léonard, le narrateur du premier roman de Nathan Devers, un graphiste célibataire de 25 ans, va en faire l'expérience en devenant locataire d'un appartement parisien dont la petite terrasse donne sur le cimetière d'Auteuil, « nonchalant comme une petite ville », « Nécropolis » de plus en plus obsédante. Ce garçon terriblement contemporain, « tiraillé et névrosé jusqu'au cou : biologiquement dépucelé, existentiellement virginal » selon le portrait sans aménités qu'il dresse de lui, ancien étudiant prometteur issu d'un milieu privilégié, est un télétravailleur solitaire, nourrissant, sans véritable ambition, quelques velléités artistiques qui ne font pas bouillir l'eau des fusillis enrobées d'emmental râpé, son unique régime. Sur le front sentimental et sexuel, il oscille entre évocations nostalgiques d'Alma, l'amour de lycée perdu, et manœuvres pour limiter l'« l'auto-humiliation » qui caractérise sa relation avec la pourtant bienveillante Céline rencontrée sur Tinder. Progressivement, sous l'influence de ses voisins éternellement silencieux, le garçon va entamer sa révolution intérieure : il interrompt toute activité salariée, arrête de fumer, se met à la musculation. Plus tard, il jouera méthodiquement à la roulette au casino d'Enghien, pratique rémunératrice qui vient nourrir des réflexions sur le hasard et la confiance en soi. « La vérité, c'est que la morale est une farce bien utile : nous sommes les usurpateurs de notre biographie, et la sincérité n'est elle-même qu'une simulation réussie. Le syndrome de l'imposteur, voilà le fin mot de notre condition. Je ne suis pas dupe. Autant avancer dans le monde à découvert, en clamant haut et fort mon appartenance à la communauté des impies du mérite ».
Nathan Devers, jeune homme de 22 ans au CV plus brillant que son narrateur - normalien, auteur de Généalogie de la religion, un essai paru en 2019 au Cerf- insuffle une bonne dose de lyrisme critique à cette première fiction, extrayant méditations philosophico-politiques et envolées métaphysiques du réel de son héros, pris entre l'auto-dévaluation et l'orgueil.
Ciel et terre
Flammarion
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 18 euros ; 190 p.
ISBN: 9782081508316