Avant-critique Roman

Aurélien Bellanger, "Le vingtième siècle" (Gallimard) : Pastiche baroque

Aurélien Bellanger - Photo © Francesca Mantovani/Gallimard

Aurélien Bellanger, "Le vingtième siècle" (Gallimard) : Pastiche baroque

Dans ce sixième roman ambitieux, Aurélien Bellanger érige Walter Benjamin en messie, comme un mythe encore vif du XXe siècle.

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Par Marie Fouquet
Créé le 06.01.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 10.01.2023 à 15h48

Quel rapport pourrait-il y avoir entre un groupe d'activistes estampillé ultragauche, un critique de cinéma perdu dans une ZAD et la mort d'un poète spécialiste de Walter Benjamin, suicidé à la BNF ?

Comme à son habitude, Aurélien Bellanger joue des frontières et des limites entre histoire et fiction, archives et créations. Il met en scène des personnages réels devenus des archétypes et bâtit son récit à partir de fragments recomposés en chapitres. Dans Le vingtième siècle, il n'y a que des semblants de réel, des écrits inventés, teintés d'une époque et de figures qui, elles, ont existé. Au cœur de l'intrigue, on trouve une enquête littéraire autour d'un manuscrit sur Walter Benjamin que le poète (fictif) François Messigné aurait laissé quelque part avant son suicide à la BNF. Aurélien Bellanger intègre dans sa narration des écrits imaginés, inspirés voire partiellement retranscrits du réel, comme s'ils étaient de la matière brute. Ainsi se succèdent des lettres - notamment de l'entourage de Walter Benjamin -, des mails - entre des universitaires spécialistes du philosophe qui s'interrogent sur le suicide de François Messigné et cherchent son dernier manuscrit -, des articles piochés dans des revues culturelles contemporaines, des documents d'archives, des journaux, les notes d'une enquête policière... qui traversent le XXe siècle. On peut le constater dès les premières pages du livre, un « passage supprimé » d'Enfance berlinoise vers 1900 de Walter Benjamin dans lequel le philosophe évoque un de ses plus anciens souvenirs : une machine à fabriquer les sucres d'orge qui tourne sur elle-même comme le ferait une histoire universelle. Ce premier texte, comme tous les suivants, est accompagné d'une source, mais au lieu d'apparaître en note de bas de page, elle fait plutôt œuvre de titre, pour ensuite laisser la plume pastichée de Walter Benjamin introduire l'ensemble de l'intrigue. Aurélien Bellanger passe d'époque en époque sans ordre chronologique, confronte le début du XXe siècle au début du siècle suivant, s'arrange avec les codes d'écriture pour s'adapter aux différents tons que nécessite le type d'écrits qu'il convoque, et établit des clins d'œil plus ou moins évidents avec l'actualité de ces dernières décennies. Ainsi la note de la DGSI sur le groupe d'activistes Benjamin, qui semble directement extraite des discours et du traitement policiers de l'affaire Tarnac. Et ce sont peut-être les décalages entre ces différents paradigmes juxtaposés qui créent un effet comique relevant de l'absurde. On se croirait parfois presque dans du Fabcaro ou du Pignocchi, mais cette ironie-là s'adresse à un public averti et sensible à la théorie littéraire et philosophique. Le vingtième siècle est une performance baroque, tant dans l'hybridité de sa matière que dans son développement spiral et sa méticuleuse construction en abyme.

Aurélien Bellanger
Le vingtième siècle
Gallimard
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 23 € ; 432 p.
ISBN: 9782072992551

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