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Aurélie Gerlach (La Charte) : "Sans représentativité, aucune avancée n'est possible"

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Le programme 2021-2022 pour les artistes-auteurs dévoilé par la ministre de la Culture divise nettement la profession. Après la Société des gens de lettres, Livres Hebdo donne la parole à la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Pour sa co-présidente, Aurélie Gerlach, la question non réglée de la représentativité bloque tous les autres sujets et invisibilise les auteurs.

Livres Hebdo

Sans création d’un statut professionnel ni représentativité clarifiée, aucune avancée significative n’est possible. Nous, artistes-auteurs et autrices, ne demandons pas la lune. Voir notre travail reconnu comme tel et rémunéré décemment ; être pleinement associés aux décisions qui nous concernent ; accéder aux droits sociaux élémentaires pour lesquels nous cotisons. Il n’est pas de souhaits plus légitimes et raisonnables.
    
Même sous les dehors les plus complexes, les problèmes recouvrent toujours des enjeux d’une grande simplicité. La question des artistes-auteur et autrices n’échappe pas à cette règle. Dévoilé il y a un an, le rapport Racine proposait un diagnostic étayé de la longue dégradation de nos conditions de travail et d’existence, énonçant 23 mesures salutaires pour redresser enfin la situation. Parmi ces propositions, la création d’un vrai statut professionnel, avec pour corollaire la mise en place d’élections professionnelles, constituait un pilier, un préalable sans lequel aucune amélioration significative n’est à espérer.
    
À ce titre, la déception suscitée par le "programme de travail 2021-2022 pour les auteurs", annoncé  jeudi dernier par la ministre de la Culture, Mme Roselyne Bachelot, est à la mesure des espoirs que le rapport Racine a éveillés. Nous aurions souhaité que ce ne soit pas le cas.

À la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse, le conseil d'administration est bénévole. Nous consacrons une part importante de notre temps de travail et de vie personnelle à la défense des intérêts de celles et ceux que nous représentons. Il en est de même dans de nombreuses autres organisations professionnelles d’artistes-auteurs. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de sacrifier notre énergie à la légère. Notre mécontentement n’a rien d’un caprice, puisqu’il touche à des questions qui ont une traduction très concrète dans nos vies.

Créer n’est toujours pas considéré comme un travail

Aujourd’hui encore, les artistes-auteurs et autrices ne sont pas considérés comme des travailleurs, et ne bénéficient pas d’un statut clair. Ainsi, si le code de la propriété intellectuelle protège les œuvres, les femmes et les hommes bien vivants qui en sont à l’origine sont nettement moins bien lotis. Le temps consacré à notre création n’est pas reconnu, nos savoir-faire et compétences mobilisés sont invisibilisés. Loin de cette liberté artistique fantasmée, il nous faut généralement nous conformer à des contraintes, respecter des délais, négocier, démarcher, relancer, comme tout travailleur. Nous rejetons fermement la vision romantique de l’artiste qui serait préservé des réalités humaines et sociales. Elle nous est dommageable. En effet, pourquoi offrir des rémunérations correctes et de bonnes conditions à quelqu’un si l’on ne reconnaît pas qu’il exerce un travail ?

Cet aspect symbolique n’est pas le seul à nous être préjudiciable. L’absence d’un statut clair est à l’origine de la plupart de nos maux administratifs, et de notre difficulté à accéder à nos droits. Le problème est on ne peut plus terre à terre : sans statut aux contours bien définis, nos professions sont mal identifiées par les pouvoirs publics, et mal connues des administrations. Obtenir ses indemnités journalières en cas de maladie ou de congé parental par exemple, est un exercice qui tourne régulièrement au casse-tête, et demande une ténacité hors du commun. Tout cela pour bénéficier enfin de ses droits – peut-être – au bout de plusieurs mois.

Et pourtant nous cotisons bien comme n’importe quels travailleurs. Sur ce point, curieusement, il ne semble pas y avoir d’ambiguïté. Le programme ministériel prévoit l’amélioration de l’accès à nos droits sociaux. Cela aurait pu être une bonne nouvelle, mais sur quelle base ? Quelle amélioration espérer quand l’administration peine à nous identifier ? À ce jour, les pouvoirs publics ne peuvent même pas dire combien nous sommes. Sur un tel terreau, que peut-il pousser ?

Venons-en à la problématique de la démocratie sociale. En tant que professionnels, et en application du rapport Racine, nous demandons la mise en place d’une vraie représentativité. Cette capacité, pour tout citoyen, à défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale, et d’adhérer au syndicat de son choix est un principe qui a valeur constitutionnelle. Il a été maintes fois réaffirmé par la France. À un niveau international, elle l’a notamment fait en ratifiant la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, adoptée en 1948 par l’Organisation internationale du travail (OIT). De même la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit que "toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts."

En cohérence avec ces principes, et il y a lieu de s’en réjouir, le gouvernement s’est récemment engagé à structurer le dialogue social pour les travailleurs de plateforme. Les livreurs et chauffeurs autoentrepreneurs devraient donc bientôt pouvoir élire leurs représentants. Alors, pourquoi cette résistance dès qu’il est question des artistes-auteurs et autrices ?

La représentation confisquée

Cette représentativité nous permettrait pourtant de signer des accords juridiquement engageants, et de rééquilibrer le rapport de force avec les diffuseurs de nos œuvres. La faiblesse du dialogue social est à la source de nos conditions de rémunération désastreuses. Les auteurs et illustrateurs jeunesse en sont les premières victimes. En effet, il est d’usage – sans qu’aucune raison convaincante ne soit jamais avancée, ni que cela ne soit jamais remis en question – que la littérature jeunesse soit encore moins bien payée que la littérature générale. Et ce alors que notre secteur est économiquement très dynamique. Les à-valoir sont deux fois moins élevés – 1000 euros contre 2000 euros en moyenne – et les pourcentages de droits ridicules – soit 2% à 6% contre 8% en moyenne. Or, ces rémunérations viennent récompenser un travail s’étalant parfois sur plusieurs années !

Le gouvernement souhaite "accompagner" des négociations professionnelles sui generis sur l’équilibre de la relation contractuelle, notamment dans les secteurs du livre, de l’audiovisuel et du cinéma. Une fois encore, sans clarifier la représentativité. Les représentants ne seront donc pas élus par les auteurs eux-mêmes. Il y a tout lieu d’être circonspect.

Dans le livre, deux accords ont été signés avec les éditeurs, en 2014 et 2017, pour des avancées mesurées. Les conditions déplorables dont bénéficient les auteurs et illustrateurs jeunesse n’ont pas été mises à l’ordre du jour. Pas plus que la mise en place du fameux "minimum garanti non amortissable", solution soudain brandie par les organisations qui étaient à la manœuvre lors des négociations. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour défendre cette idée, par ailleurs moins-disante en comparaison du contrat de commande proposé par le rapport Racine, qui permettrait une vraie reconnaissance du travail de création ? Pourquoi les rémunérations des auteurs et autrices n’ont-elles pas cessé de diminuer alors même que ces accords ont été signés ?

Les artistes-auteurs et autrices souhaitent aussi être pleinement à la manœuvre dans toutes les instances qui les concernent. Ils veulent élire les représentants en charge de piloter leur organisme de sécurité sociale. Pour rappel, les dysfonctionnements passés ont mené à de véritables drames. Comment oublier le scandale Agessa, qui a privé de nombreuses personnes de leurs droits à la retraite, sans, pour l’heure, que le préjudice ne soit réparé ? La démocratie sociale a ceci de vertueux qu’elle permet aux urnes de sanctionner les manquements. Toute organisation ne représentant pas sa base de manière satisfaisante encourt ainsi le risque de ne pas être réélue.

Aujourd’hui, notre représentation est tout simplement confisquée. Nous ne pouvons pas choisir qui parle en notre nom. Plus dommageable encore, les bénévoles de nos associations s’opposent, lors de concertations et de discussions au ministère, à des représentants salariés d’organismes de gestion de gestion collective, qui affirment représenter les auteurs et se mettent pourtant en travers de chacune des avancées que nous demandons. Ces organismes ont une fonction importante dans l’écosystème, nous ne remettons pas cela en cause. Néanmoins, leurs conseils d’administration mêlent des représentants de diffuseurs et d’auteurs, ce qui questionne leur légitimité à parler en notre nom.

Le temps presse

De notre côté, nos organisations sous-financées bénéficient d’un large soutien. 1500 chartistes nous font confiance et nous apportent leur appui. Ils savent que nous n’avons que leur intérêt en ligne de mire. Les bénévoles du conseil d’administration sont, comme eux, des auteurs et des autrices. Ils sont contraints de jongler avec leur activité professionnelle, et obligés de se former en urgence sur nombre de sujets. Nous défendons au mieux la parole des artistes-auteurs et autrice, et pourtant nous ne sommes pas entendus. Comment ne pas considérer que les dés sont pipés ? La représentativité permettrait d’obtenir enfin de la clarté puisque les modalités du financement des syndicats est réglementée. L’immense travail d’accompagnement et de décryptage de réformes mal pensées, effectué par la Charte, s’apparente à une mission de service public. Elle nous est déléguée sans moyens dédiés.

Demander l’application du rapport Racine est loin d’être une position extrême ou radicale. Peut-on, dans la patrie des droits de l’homme, taxer d’extrémisme quiconque demande davantage de démocratie ? À qui profite l’absence de clarté dans les règles du jeu ? Bien sûr, permettre aux artistes-auteurs d’élire leurs représentants rebattrait les cartes, clarifiant le rôle de chacun, et remettant peut-être en cause des positions établies de longue date. C‘est le jeu du scrutin. Pour notre part, nous considérons que le choix doit venir des premiers concernés.

Ainsi, s’il y a lieu de se réjouir de certaines mesures annoncées par madame la ministre, notamment du prolongement des aides au titre du fond de solidarité, ou du fait que les dysfonctionnements de l’Urssaf Limousin soient enfin pris à bras le corps, nous regrettons que la réforme en profondeur que nous appelions de nos vœux soit restée lettre morte. En balayant les mesures centrales du rapport Racine, le ministère manque une occasion unique de remédier à des dysfonctionnements qui perdurent depuis des décennies. Était-il trop tôt pour amorcer le changement ? Nous ne le croyons pas. À vrai dire, le temps presse.
   
Nous sommes pressés car ils sont la cause, pour nombre d’entre nous, de situations dramatiques. Nous sommes pressés parce que nous ne voulons pas voir la création s’appauvrir, délaissée par des professionnels qui ne peuvent plus se permettre d’exercer leur métier. Nous sommes pressés parce que nous attachons de l’importance aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Nous sommes pressés parce que les problèmes, qui durent depuis des décennies, sont à présent bien documentés et identifiés. Les choses sont simples. Nous ne demandons pas la lune. C’est bien la situation actuelle des auteurs et autrices qui est lunaire.

Par Aurélie Gerlach
Co-présidente de la Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse

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