La folie ne se raconte pas, quand elle le fait, on a l’impression qu’elle en fait trop. Son lyrisme passe pour factice, l’hyperbole des images cauchemardesques vire au surréalisme. Pourtant la folie existe. Le malaise existentiel clinique n’est pas à négliger. Et tout écrivain prétendant rendre compte du réel ne saurait faire fi de cette réalité-là. Mais gare à l’auteur qui n’en ferait qu’un thème, une sorte d’objet de fascination qui resterait à la fois esthétique et extérieur : il manquerait son sujet. Pierre Souchon, dont c’est le premier roman, est au cœur du sujet : il est le sujet - un homme de 30 ans bipolaire qui rechute dans la maladie qui l’avait conduit à l’hôpital psychiatrique lorsqu’il était étudiant. Pierre, le narrateur d’Encore vivant, travaille comme lui dans la presse (l’auteur écrit pour Le Monde diplomatique et L’Humanité) et a fréquemment été interné.
Après des crises de folie dont il se croyait réchappé, le journaliste est plus ou moins installé, marié à Garance, fille de la bourgeoisie dont l’amour lui avait fait oublier - pardonner - les différences sociales, à lui, le descendant de paysans ardéchois. Mais lors d’un dîner chez son beau-frère, directeur d’études d’un think tank, qui vient de se faire licencier "comme un malpropre" et qui s’en désole, Pierre explose en comparant la situation du nouveau chômeur à celle des ouvriers qui ne vivent pas dans des "180 mètres carrés en plein Paris" et ne s’achètent "pas des Leica à 10 000 euros". Et le coup de sang de déraper en pur délire. Le voilà qui embrasse, place Jean-Jaurès à Montpellier, la statue de l’homme de gauche éponyme, figure de bronze indifférente aux idéaux qui partent à vau-l’eau. A nouveau Pierre se retrouve de l’autre côté de la barrière, "la barrière des fous". Un premier roman âpre dont le phrasé restitue avec justesse le mal-être du maniaco-dépressif. S. J. R.