Dominique Sampiero est né dans le nord de la France en 1954. Longtemps dans l’Education nationale avant de se consacrer à l’écriture, il est romancier, scénariste, mais c’est ici le poète qui livre à la belle collection "Haute enfance" ce récit depuis longtemps recouvert par le silence du secret.
Le sentiment de l’inachevé remonte à la naissance du premier fils d’une mère qui espérait une fille. Dans cette famille qui habite dans "une ancienne ville fortifiée", le garçon grandit auprès de "Lepère", cheminot, "Mamer", génitrice fragile et effrayée de tout, plus tard "Frère 1" et "Frère 2". La maison est aussi un foyer d’accueil où d’autres enfants sont placés, des filles toujours. Parmi elles, Laurence, du même âge que le fils aîné, qui a été adoptée. Le jour de la communion, l’enfant de chœur a 12 ans : "J’embrasse Laurence qu’on dit être ma sœur sur sa bouche d’ostie."
Née d’une attirance informulée, dans ces temps sans mots ni images pour dire les choses du désir, la relation cachée et jamais découverte ouvre un territoire parallèle. La force du récit de Dominique Sampiero est de ne pas s’attacher à l’interdit, au licencieux de cette sensualité, au tabou de cette sexualité, mais de pénétrer l’ambivalence de ces pulsions nées de l’ennui et du vide, la vérité de ces étreintes qui apaisent mais ne consolent de rien. Comprendre comment se sont amarrées l’une à l’autre deux solitudes, agrippés deux égarés cherchant chacun le sens de sa présence au monde. Laurence est passive, absente, lente, opaque, ne sourit jamais, pleure sans bruit. Victime ? Coupable ? Quel nom a ce lien qui enserre les années d’adolescence ? Amoureux ? En tout cas narcotique, comme cette "dévoration hypnotique des livres" dont le frère fait la lecture à voix haute à sa sœur. Mais le secret protège aussi un vert paradis : le jardin des grands-parents à la campagne, "le royaume de la confiance et du rare", celui où a germé la langue charnelle de Dominique Sampiero et poussé l’audace de s’aventurer dans les souterrains de la mémoire.
Véronique Rossignol