Simon Liberati est inactuel. C'est sa gloire et son destin. Il est inactuel par son écriture bien sûr, cheminant seul sur une ligne de crête entre Huysmans et Jean-Jacques Schuhl, résolument éloigné de toute tentation néoréaliste, campé dans une altière solitude créatrice, aussi à l'aise au désert que dans les salons. Il est aussi - et peut-être surtout en notre époque oublieuse - inactuel parce qu'il convient toujours de restituer chacun de ses livres au sein de la cathédrale baroque qu'est l'œuvre tout entière. Chacun y apportant seulement comme un gracieux décalage, un changement de perspective infiniment subtil. Chacun comme autant de fragments d'une autobiographie rêveuse où l'artiste pose volontiers (et pourquoi ne le ferait-il pas ?) en majesté doucement flapie.
Ainsi, Alain, le héros égaré de son nouveau livre, le polysémique et très ambitieux Occident. Alain peint. C'est sa seule assignation à demeure. De grandes huiles figuratives qui ne sont pas ou pas encore à la mode. Il peint seul, dans son atelier, au cœur de la forêt, non loin de Paris qu'il rejoint dès qu'il peut en même temps que sa bande de noctambules chics et envapés, sa maîtresse, Lukardis, dans un hôtel de la capitale où la direction lui laisse l'usage d'une suite entière, la suite « overdose ». Tout ce déséquilibre qui l'équilibre va se trouver mis en péril lorsque Alain fait la connaissance de Poppée, une jeune Israélienne, vaguement curatrice en art contemporain, mais qui sait très précisément ce qu'elle veut : faire carrière, diriger sa vie, un enfant et Alain. Elle désire plus que lui, et elle l'emporte bien sûr. Ils sont amants, un enfant naît qui est peut-être de lui, mais qu'il ne saurait reconnaître (il y a aussi un mari dans le coin). Une commande se profile, venue de l'un des plus prestigieux collectionneurs. Bientôt Poppée devient une reine folle et Alain ne sait plus à quel sein, à quel désir se vouer. Un infarctus et puis la dope répondront pour lui à la question. Viendra alors le temps de la douceur ; le temps de l'ange, Emina, très jeune fille à jamais perdue, à jamais retrouvée. Il y aura des voyages vers l'Andalousie, le sud, et ce qui fera retour, c'est la peinture, c'est l'amour, dernières aventures de l'homme occidental éclairé.
Evidemment, on peut penser que cet Alain nous dit quelque chose de Simon Liberati, qui sème en son livre quelques indices, géographiques et autres, qui vont dans ce sens. Mais pour être juste, cette approche est aussi un attrape-nigaud. Liberati écrit moins sur lui que « depuis lui ». Moins une autofiction que des fictions comme nées de ce qui le constitue. Cet Occident le voit revenir aux usages exsangues du roman qu'il réinvestit de toute son énergie, noire et diaprée à la fois. Et si l'on comprenait enfin que, en fait de thème, l'écrivain n'en a qu'un, la solitude, ses solitudes, celle de l'artiste dans un monde grégaire, le merveilleux combat avec l'ange solitaire.
Occident
Grasset
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 20 euros ; 380 p.
ISBN: 9782246863076