Dieu le père. Après la littérature du XIX^e siècle (Milady de Winter, Ankama, 2010-2012) ou l'histoire de France (Le chevalier d'Éon, Ankama, 2014-2015), Agnès Maupré est allée puiser son inspiration du côté de la Grèce antique et du monde complexe de ses divinités, s'inscrivant dans un courant très actuel de relecture féministe de la mythologie. Elle met ainsi en scène deux jeunes filles amies depuis toujours, Physalis et Britomartis, qui n'ont jamais rencontré leur père. Et pour cause : il s'agit de Zeus, disparu sitôt après avoir violé leurs mères. L'une, la bouillonnante Physalis est tourmentée. « Mon père [...] est le roi des dieux. Ça fait de moi... Quoi ? La princesse des bâtardes ? » L'autre, Britomartis, est en paix avec elle-même et les autres. Elles partent néanmoins ensemble à sa recherche. Au cours de leur odyssée − quoi de plus normal au pays d'Homère -, elles vont croiser de nombreux autres rejetons de Zeus, passés ou non à la postérité. Les deux jeunes filles devront braver les plus violents de ces demi-frères et sœurs, vaincre leurs peurs, tester leur amitié, et se perdre pour finalement se retrouver.

Ave Physalis et Britomartis, Agnès Maupré a créé un duo d'héroïnes fortes et vivantes, qu'elle entraîne dans un récit d'aventures initiatique bien mené, sublimé par un trait toute en finesse et des couleurs joyeusement méditerranéennes. Surtout, elle a réussi deux choses. D'une part, revisiter avec un œil curieux la mythologie grecque, notamment en exhumant des personnages oubliés aux destins tragiques et hors du commun, comme Até, déesse de l'égarement, ou Épaphos ou Arcas, les enfants d'Io et Callisto. D'autre part, utiliser le cadre de la mythologie pour tenir un discours moderne sur l'amitié, la sororité, l'identité, le mensonge, la violence machiste. Elle n'hésite pas à souligner l'ignominie de Zeus et de certains de ses bâtards (Apollon, Minos...), et si l'on sent que les flèches qu'elle décoche à leur encontre ont une résonance toute contemporaine, elle le fait toujours avec esprit, sans manichéisme - dans son récit, certaines femmes n'ont pas toujours un rôle glorieux. Le propos parfois sombre est subtilement exprimé par un dessin pudique et par des textes vivants, poétiques et musicaux- l'autrice a d'ailleurs écrit des chansons, disponibles sur Internet, pour accompagner l'album.