L’Harmattan traverse une crise familiale et judiciaire. Denis Pryen, cofondateur de la maison d’édition, accuse son neveu Xavier Pryen, président du groupe, d’avoir orchestré sa prise de contrôle par des montages financiers contestés. Ces accusations incluent l’usage abusif des ressources de l’entreprise et des manœuvres visant à réduire son oncle à une position minoritaire. Selon des informations révélées par le journal Le Monde, un collectif a été formé par plusieurs directeurs de collection de l'Harmattan (qui en compte plus de 200) en soutien à Denis contre son neveu.
Xavier Pryen rejette ces accusations, défendant des décisions motivées par une volonté d’adaptation au marché. Auprès de Livres Hebdo, il évoque la plainte judiciaire et le conflit idéologique qui divisent les acteurs de l'institution.
Livres Hebdo : Des conflits actionnariaux ont été révélés il y a une dizaine de jours. Comment L’Harmattan est-il impacté par cette situation ?
Xavier Pryen : En tant que directeur général je suis totalement mobilisé et le dossier présenté par les actionnaires minoritaires est très léger, avec des éléments datant de plus de 15 ans. Clairement, il s’agit de manœuvres pour écarter un actionnaire, mais cela ne se passera pas comme ça. Mon objectif est de stopper ces campagnes de dénigrement, non seulement pour moi, mais aussi et surtout pour l’entreprise.
Vous êtes mis en cause par le fondateur des éditions L’Harmattan, votre oncle Denis Pryen, pour avoir « asséché » les finances de l’entreprise et opéré son « démantèlement ». Comment réagissez-vous à ces accusations ?
Ce sont également des mensonges. Moi, je suis totalement déterminé à défendre les intérêts de l’entreprise et des salariés, à tout prix. Je vais prendre des initiatives que je ne peux pas détailler pour le moment, mais qui garantiront l’efficacité de mes décisions. Concernant les procédures en cours, j’ai une ligne de conduite : les laisser se dérouler dans la sérénité. Je ne souhaite pas interférer ou commenter dans la presse. Déjà, la demande d’un administrateur provisoire par les actionnaires minoritaires a été refusée cette semaine (la semaine dernière, ndlr) par le tribunal de commerce, et un conciliateur a été nommé, comme je le souhaitais depuis le début. Ce sont de très bonnes nouvelles.
Vous avez lancé une « phase 2 » pour L’Harmattan. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de restructuration ?
Depuis trois ans, nous avons lancé une transformation en profondeur de L’Harmattan. Historiquement, l’entreprise fonctionnait parfois comme une association, notamment en raison de son histoire. Aujourd’hui, nous structurons une véritable organisation avec des pôles métiers et une organisation éditoriale renforcée.
« Les modèles de lecture et d’écriture changent »
Nous avons réduit le nombre de parutions pour mieux accompagner les titres publiés (un peu moins de 2 700 nouveautés par an), tout en gardant l’ADN de L’Harmattan. Il s’agit de promouvoir davantage nos ouvrages et de répondre aux évolutions du marché. Nous avons également beaucoup investi dans notre site Web, nos infrastructures logistiques et nos méthodes d’impression.
Quelles sont vos ambitions pour la ligne éditoriale de L’Harmattan ?
Nous avons longtemps été perçus comme publiant « n’importe quoi ». C’est faux, mais nous ne savions pas le faire savoir. Les modèles de lecture et d’écriture changent, et il faut s’y adapter. Cela passe par un positionnement fort, mais aussi par des innovations éditoriales. Nous mettons l’accent sur le renouvellement des équipes avec de nouveaux directeurs de collection, pour refléter l’évolution des modes de lecture et d’écriture. Cela reste essentiel, notamment dans les sciences humaines, qui représentent 75 % de notre activité.
Quelles spécificités techniques distinguent L’Harmattan des autres éditeurs ?
Nous avons un modèle basé sur l’impression à la demande, mais également sur notre propre diffusion et notre propre distribution à partir de nos entrepôts normands. Nous traitons en continu les commandes reçues, via Dilicom, ou par tout autre moyen. Près de 90 % de ces commandes ne viennent pas de nos stocks, mais sont imprimées à la demande, à l’unité, avec notre partenaire imprimeur Corlet, situé près de notre entrepôt.Toutes les commandes passées avant 13h sont livrées dans nos locaux dès le lendemain à 8h.
« Trouver une structure indépendante qui partage nos valeurs »
Cette fluidité d’impression est une véritable force, que nous proposons aussi à d’autres éditeurs pour leur distribution. Nous imprimons près d’un million de livres chaque année pour un chiffre d’affaires de l’activité Métiers du Livre proche de 10 millions d’euros (incluant entre autres les marques Sutton, Academia, Michalon, etc.).
Envisagez-vous un rapprochement ou une vente de L’Harmattan ?
Je crois fermement que L’Harmattan ne peut pas rester seul dans ce monde mouvant et je suis persuadé que nous avons tout à gagner à nous adosser à une autre maison d’édition indépendante, idéalement complémentaire à nos métiers. Nous avons un modèle particulier, difficilement intégrable dans un grand groupe, mais qui pourrait enrichir une structure indépendante qui partage nos valeurs. Cela dit, les conflits actionnariaux entravent cette réflexion, qui reste d’actualité. La priorité est donc de sortir de ce conflit.
Malgré les défis, vous semblez optimiste. Qu’est-ce qui vous motive ?
Je suis optimiste, mais très lucide sur la gravité de la situation. Les conflits actionnariaux sont un frein, mais je suis déterminé à les résoudre. Une fois ces conflits réglés, nous pourrons pleinement nous concentrer sur l’avenir de L’Harmattan et explorer de nouvelles opportunités de développement. Les transformations en cours sont passionnantes, et nous avons énormément de soutiens dans la profession. Je suis convaincu que L’Harmattan a encore beaucoup à offrir, tant pour ses auteurs que pour ses lecteurs. Nous ne devons pas nous arrêter en chemin.