« Liberté » n'est pas seulement le poème le plus connu de Paul Éluard (1895-1952). C'est l'un des sommets de la poésie française, avec ses vingt et un quatrains qui se mémorisent aisément, comme une chanson - le texte sera mis en musique dès 1943 par Francis Poulenc, dans sa cantate Figure humaine. C'est aussi le symbole de la résistance des poètes français et, partant, du pays entier - du moins celui qui résista à l'Occupation et à l'oppression allemandes. L'histoire de sa composition est hautement romanesque, celle de sa publication plutôt complexe : comme souvent chez Éluard, éditions et rééditions se succédèrent. Il n'en fallait pas plus à Xavier Donzelli pour se lancer dans une singulière entreprise, qui renoue avec la grande tradition des éditions Seghers et de leur fondateur, le poète Pierre Seghers (1906-1987), dont Éluard était le grand homme : raconter la gestation, l'écriture, les publications, le formidable écho de « Liberté », en 1942-1943, à travers tous les personnages qui, de près ou de loin, y ont été mêlés.
À commencer par le principal, Paul Éluard, donc, qui voulait à l'origine écrire un poème d'amour en l'honneur des deux (premières) femmes de sa vie : Gala, épousée en 1917 et qui le quitta en 1929 pour Salvador Dalí, et Maria Benz alias Nusch, rencontrée en 1929, épousée en 1934, et qui mourut subitement en 1946. Il peinait à y arriver, perturbé par la guerre, l'Occupation, le sort de ses camarades résistants arrêtés, déportés, dont nombre de communistes comme lui. « Liberté » devint donc le poème que l'on connaît, dont le manuscrit émouvant, reproduit parmi les documents, en frontispice, montre tout le travail du poète.
Le texte parut d'abord en avril 1942 dans Poésie et vérité 42, un recueil édité par La Main à plume, la petite maison d'édition néo-surréaliste clandestine de Benjamin Péret. Puis, en septembre, il fut repris dans la revue Fontaine, animée à Alger par Max-Pol Fouchet. Enfin, il fut repris par La France libre, à Londres. Rien à voir avec de Gaulle, c'était la revue de Raymond Aron et André Labarthe, soutenue par le gouvernement anglais. Ce sont les Anglais qui firent traduire le texte et en imprimèrent un tract, parachuté en 1943 un peu partout en Europe, dans les pays occupés. La poésie au service de la liberté, soutenant le moral des populations meurtries, voilà bien « l'honneur des poètes ». Dans sa reconstitution mise en scène et dialoguée, Donzelli s'en sort plutôt bien. C'est comme si le lecteur se trouvait au cœur de l'Histoire en train de s'écrire.
Et par le pouvoir d'un mot
Seghers
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 20 € ; 368 p.
ISBN: 9782232146121