L'enclave du Vatican. « J'ai laissé ici le texte tel que je l'avais composé en ce début d'hiver 1942. Si certains jugements portés sur le caractère du souverain pontife ou sur le Saint-Siège me paraissent à moi-même quelque peu excessifs aujourd'hui, c'est que lorsque j'ai rédigé ces pages, j'étais encore comme un "écorché vif". » Cet homme blessé s'appelle Wladimir d'Ormesson (1888-1973). Après l'invasion de la zone libre par les Allemands, il entre dans la clandestinité et entreprend la rédaction de ces mémoires inédits. L'oncle de Jean d'Ormesson avait été en poste au Vatican en 1940, ambassadeur auprès du Saint-Siège. C'est dans ce lieu très particulier qu'il avait assisté, cloîtré, à l'effondrement de son pays. Le diplomate comprend que la langue de bois lui laisserait trop d'échardes pour dire ce qu'il a sur le cœur. D'où ces quelques mots ajoutés en 1954 en guise de préface.
Dans l'entre-deux-guerres, le comte d'Ormesson est un observateur avisé de la vie politique internationale, et ses éditoriaux du Figaro sont lus et commentés. Comme tous ceux qui pensent avoir préservé la paix, il est munichois. Catholique et conservateur, il reste farouchement opposé à Hitler et soutient le gouvernement de Paul Reynaud. Mais il tombe des nues quand on lui propose cette mission à Rome. En plein désastre, le 20 mai 1940, il est nommé ambassadeur auprès du Saint-Siège. Il se présente au Vatican le 9 juin. Le lendemain, Mussolini rejoint Hitler et déclare la guerre à la France. Ainsi commence son « ambassade tragique » avec le fascisme aux portes de Saint-Pierre.
C'est de cette alcôve qu'il observe le monde d'avant se déliter. « Pour nous, Français enfermés à l'intérieur de la Cité du Vatican, l'agonie de la France à laquelle nous assistions de loin avait quelque chose d'hallucinant. » Les fastes dissimulent mal la tragédie, ils les enrobent. L'éternité est un cocon pour ces prélats qui glissent sur les événements sans toujours les comprendre. Ils compatissent, ils espèrent, ils prient. La curie romaine et le pape sont observés à la loupe et sans ménagement par ce lecteur de Saint-Simon amateur de portraits ciselés. « Pie XII est assurément un homme fin, un homme bon, un homme pur. Mais il manque de tempérament. Il se plaît dans les nuances et recherche les ombres. À cet égard, la différence qui le sépare de son prédécesseur est immense. Pie XI était lombard. Pie XII est romain. » La nuance n'a pas échappé au représentant de la France : l'un dit ce qu'il croit juste, l'autre juste ce qu'il croit.
« Le travail que j'avais à faire était réduit à sa plus simple expression. Je ne recevais presque rien de Vichy. Je ne pouvais me servir du télégraphe et j'étais tenu à la plus grande discrétion en matière d'information. » Jadis, Wladimir d'Ormesson avait admiré Pétain, il ne le supporte plus. Au Vatican non plus on n'attend rien de l'armistice. Mais de ces cinq mois d'épreuve, on déduit volontiers comme Clemenceau que si la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires, il faut encore moins la laisser aux prêtres.
Ma tragique ambassade. Vatican, 27 mai-1er novembre 1940
Tallandier
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 24,50 € ; 384 p.
ISBN: 9791021059429