"Un Juif sans mémoire juive, c’est un homme sans passé. Il vit dans une maison vide." Une phrase qui interpelle profondément Michèle Sarde quand elle prend conscience de sa judéité. Une identité longuement tue pour qu’elle puisse s’intégrer à son pays natal. Française, élevée dans la foi chrétienne, elle est devenue romancière, essayiste et biographe de figures féminines comme Marguerite Yourcenar et Colette.
C’est encore une femme qui vibre à travers les pages de ce livre : sa mère. Un hommage à cette républicaine humaniste, dont les racines se situent à Salonique, havre de paix pour bon nombre de Séfarades expulsés d’Espagne. Mais la chute de l’Empire ottoman les oblige à plier bagage. Jenny, la mère de Michèle Sarde, trouve refuge en France. Les exilés juifs de Salonique reforment une tribu vivace, mais leur quiétude est de courte durée. La Seconde Guerre mondiale surgit sans prévenir.
Jeune mère de famille, Jenny fuit avec son mari Jacques et sa petite fille. Ils sont devenus des parias. La traque, la peur, les caches et le risque de déportation pèsent sur leur quotidien. Michèle ne se souvient de rien, mais grâce au témoignage tardif de sa mère, elle saisit enfin la "cicatrice indélébile de [son] histoire". Elle s’est construite sur une identité cachée, or, comme l’écrit Marguerite Duras, "c’est dans ce silence-là que la guerre est encore présente". L’auteure le brise en sortant les oubliés d’un brouillard épais. Son récit lui offre la possibilité de renouer avec elle-même. "La Fiction permet d’humaniser l’Histoire et de lui donner vie." Les destins singuliers de ses parents et de leurs proches permettent à Michèle Sarde de s’ancrer enfin dans un récit familial. K. E.