Lorsqu’ils se voient pour la première fois à Paris, en 1940, grâce à leur ami Pascal Pia, bien des choses séparent André Malraux et Albert Camus. L’un est riche et célèbre, auteur de La condition humaine, de L’espoir, auréolé de son engagement aux côtés des Républicains espagnols, cause que le second, qui a des origines espagnoles, a lui aussi soutenue. Politiquement, leurs idées sont proches. Antifascistes résolus et engagés, à gauche toute, compagnons de route des communistes, même si jamais encartés. Comme Gide, le maître à penser de leurs générations.
Malraux a 39 ans, il est l’un des barons de la NRF. Camus douze de moins, et rêve de devenir écrivain. La rencontre ne saurait être anodine. Le cadet admire son aîné, dont il a adapté Le temps du mépris, son dernier roman, pour le théâtre, chez lui, là-bas, à Alger. Malraux, contacté, avait donné son autorisation par un simple télégramme : "Joue." La seule fois où les deux hommes se tutoieront.
Ensuite, en dépit de difficultés imposées par l’éloignement - Camus, de famille modeste, fait la navette entre l’Algérie et la métropole, pour trouver du travail dans la presse -, et surtout par la guerre et l’Occupation, ils se fréquenteront, et s’écriront. Leurs sujets principaux : des interrogations communes (à propos de l’absurde, thème central chez Camus), mais surtout la carrière du futur écrivain, que Malraux favorise et prend en main. Excellent lecteur, il suggère à Camus de retravailler le texte de L’étranger, avant de le faire lire et publier par Gaston Gallimard, dès 1942. Malraux avait su deviner un "écrivain important", et il l’a aidé avec bienveillance, l’introduisant à la NRF où Camus sera lecteur, membre du comité de lecture, en 1943, et dirigera, à partir de 1945, une collection baptisée… "Espoir".
Les deux hommes ne furent jamais vraiment familiers. Sauf à de rares moments. Comme quand Malraux demande à Camus d’aider Gallimard à se procurer en Algérie du papier alfa, denrée rare et contingentée. Ou bien lorsqu’il envisage d’acheter un tapis de Tlemcen ! Après la guerre, lorsque Malraux, devenu gaulliste, puis ministre du Général, fut accusé par certains, qui n’avaient rien compris à sa pensée, de "trahir" les idéaux de sa jeunesse, leurs relations s’attiédirent. On passa de "Mon cher Malraux" à "Cher Malraux". Mais, avant la mort de Camus, Malraux, ministre de la Culture, voulait lui "donner un théâtre" où créer en toute liberté. La Comédie-Française, même. Le destin en a décidé autrement.
Leur correspondance conservée, aujourd’hui publiée et contextualisée, met en lumière cette relation, cette amitié importante. En 1957, lorsqu’il le reçut le prix Nobel de littérature, Camus le dédia à Malraux. J.-C. P.