C'était un jour de la mi-juin 1948 à Camden, New Jersey. Suite à un pari stupide entre fillettes, la petite Sally Horner, 11 ans, vole un simple cahier dans une boutique du coin. Un homme l'a vu, s'approche d'elle, se présente comme un agent du FBI et la menace des pires mesures de rétorsion. Aussi, lorsque, terrorisée, Sally voit revenir cet homme quelques jours plus tard, lui demandant de la suivre pour ce qui s'avérera être un long voyage, afin soi-disant de répondre aux questions de l'agence fédérale, ne peut-elle que le suivre. L'homme s'appelle en réalité (parmi de nombreux alias) Frank La Salle, il a déjà été condamné plusieurs fois pour des faits (entre autres) d'atteintes sexuelles sur mineurs et vient de démarrer l'une des plus rocambolesques affaires de kidnapping - et de pédophilie aussi, hélas et bien sûr - qu'auront à connaître les Etats-Unis au XX^e siècle. Il faudra près de deux ans pour qu'en mars 1950 le couple soit enfin retrouvé et la fillette libérée des griffes de son ravisseur. Tragiquement, elle trouvera la mort à peine deux ans plus tard dans des circonstances qu'on laissera le soin au lecteur de découvrir.

Cette histoire ne vous rappelle rien, le sordide en moins (quoique) et le style en plus ? Bien sûr, « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme ». Le chef-d'œuvre de Nabokov, tellement beau qu'il parvient à faire oublier à son lecteur le caractère fondamentalement odieux de cette histoire et de son héros, Humbert Humbert. Dans Lolita, la véritable histoire, récit minutieux et passionnant, la très réputée journaliste américaine Sarah Weinman s'attache à renouer les fils ignorés, ou presque jusqu'alors, du fait divers et du roman. Si elle le fait avec autant de maestria, c'est d'abord parce qu'elle a l'honnêteté fondamentale de ne pas chercher à faire croire que tout Lolita est déjà dans Sally Horner, que Frank La Salle préfigure vraiment Humbert Humbert. Elle mène avec une rigueur impeccable deux enquêtes en parallèle, celle sur la trop courte vie de Sally Horner et celle sur ce que fit pendant ce temps le romancier (voyager, chasser des papillons, laisser peu à peu venir à lui le roman). Surtout, elle rend justice et finalement offre à une petite fille suppliciée et anonyme du siècle dernier le plus beau des tombeaux tout de même. Un roman. L'un des plus grands.